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Je veux rester seule avec Francine , je m' entendrai mieux avec elle qu' avec moi - même peut - être ... Adieu . Allez ! allez donc . "
Ces paroles , prononcées avec volubilité , et tour à tour empreintes de coquetterie , de despotisme ou de passion , annoncèrent en elle une tranquillité parfaite . Le sommeil avait sans doute lentement classé les impressions de la journée précédente , et la réflexion lui avait conseillé la vengeance .
Si quelques sombres expressions se peignaient encore parfois sur son visage , elles semblaient attester la faculté que possèdent certaines femmes d' ensevelir dans leur âme les sentiments les plus exaltés et cette dissimulation qui leur permet de sourire avec grâce en calculant la perte de leur victime .
Elle demeura seule occupée à chercher comment elle pourrait amener entre ses mains le marquis tout vivant .
Pour la première fois , cette femme avait vécu selon ses désirs ; mais , de cette vie , il ne lui restait qu' un sentiment , celui de la vengeance , d' une vengeance infinie , complète .
C' était sa seule pensée , son unique passion . Les paroles et les attentions de Francine trouvèrent Marie muette , elle sembla dormir les yeux ouverts ; et cette longue journée s' écoula sans qu' un geste ou une action indiquassent cette vie extérieure qui rend témoignage de nos pensées .
Elle resta couchée sur une ottomane qu' elle avait faite avec des chaises et des oreillers .
Le soir , seulement , elle laissa tomber négligemment ces mots , en regardant Francine .
" Mon enfant , j' ai compris hier qu' on vécut pour aimer , et je comprends aujourd' hui qu' on puisse mourir pour se venger . Oui , pour l' aller chercher là où il sera , pour de nouveau le rencontrer , le séduire et l' avoir à moi , je donnerais ma vie ; mais si je n' ai pas , dans peu de jours , sous mes pieds , humble et soumis , cet homme qui m' a méprisée , si je n' en fais pas mon valet , mais je serai au - dessous de tout , je ne serai plus une femme , je ne serai plus moi ! ... "

LES CHOUANS (VIII, milit)
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