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Occupée à contempler , sur la surface des eaux , les lignes noires qu' y projetaient les têtes de quelques vieux saules , Francine observait assez insouciamment l' uniformité de courbure qu' une brise légère imprimait à leurs branchages . Tout à coup elle crut apercevoir une de leurs figures remuant sur le miroir des eaux par quelques - uns de ces mouvements irréguliers et spontanés qui trahissent la vie .
Cette figure , quelque vague qu' elle fût , semblait être celle d' un homme .
Francine attribua d' abord sa vision aux imparfaites configurations que produisait la lumière de la lune , à travers les feuillages ; mais bientôt une seconde tête se montra ; puis d' autres apparurent encore dans le lointain .
Les petits arbustes de la berge se courbèrent et se relevèrent avec violence . Francine vit alors cette longue haie insensiblement agitée comme un de ces grands serpents indiens aux formes fabuleuses .
Puis , çà et là , dans les genêts et les hautes épines , plusieurs points lumineux brillèrent et se déplacèrent . En redoublant d' attention , l' amante de Marche - à - terre crut reconnaître la première des figures noires qui allaient au sein de ce mouvant rivage .
Quelques indistinctes que fussent les formes de cet homme , le battement de son coeur lui persuada qu' elle voyait en lui Marche - à - terre .
Éclairée par un geste , et impatiente de savoir si cette marche mystérieuse ne cachait pas quelque perfidie , elle s' élança vers la cour . Arrivée au milieu de ce plateau de verdure , elle regarda tour à tour les deux corps de logis et les deux berges sans découvrir dans celle qui faisait face à l' aile inhabitée aucune trace de ce sourd mouvement .
Elle prêta une oreille attentive , et entendit un léger bruissement semblable à celui que peuvent produire les pas d' une bête fauve dans le silence des forêts ; elle tressaillit et ne trembla pas .
Quoique jeune et innocente encore , la curiosité lui inspira promptement une ruse .
Elle aperçut la voiture , courut s' y blottir , et ne leva sa tête qu' avec la précaution du lièvre aux oreilles duquel résonne le bruit d' une chasse lointaine . Elle vit Pille - miche qui sortit de l' écurie .
Ce Chouan était accompagné de deux paysans , et tous trois portaient des bottes de paille ; ils les étalèrent de manière à former une longue litière devant le corps de bâtiment inhabité parallèle à la berge bordée d' arbres nains , où les Chouans marchaient avec un silence qui trahissait les apprêts de quelque horrible stratagème .

LES CHOUANS (VIII, milit)
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