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Si parfois sa pensée se trahissait par des paroles , elle laissait échapper des phrases presque dénuées de sens , mais qui résonnaient dans le coeur de son amant comme des promesses de plaisir . Aux yeux des deux témoins de cette passion naissante , elle prenait une marche effrayante . Francine connaissait Marie aussi bien que l' étrangère connaissait le jeune homme , et cette expérience du passé leur faisait attendre en silence quelque terrible dénouement .
En effet , elles ne tardèrent pas voir finir ce drame que Mlle de Verneuil avait si tristement , sans le savoir peut - être , nommé une tragédie .
Quand les quatre voyageurs eurent fait environ une lieue hors de Mayenne , ils entendirent une homme à cheval qui se dirigeait vers eux avec une excessive rapidité ; lorsqu' il atteignit la voiture , il se pencha pour y regarder Mlle de Verneuil , qui reconnut Corentin ; ce sinistre personnage se permit de lui adresser un signe d' intelligence dont la familiarité eut quelque chose de flétrissant pour elle , et il s' enfuit après l' avoir glacée par ce signe empreint de bassesse .
L' émigré parut désagréablement affecté de cette circonstance qui n' échappa certes point à sa prétendue mère ; mais Marie la pressa légèrement , et sembla se réfugier par un regard dans son coeur , comme dans le seul asile qu' elle eût sur terre .
Le front du jeune homme s' éclaircit alors en savourant l' émotion que lui fit éprouver le geste par lequel sa maîtresse lui avait révélé , comme par mégarde , l' étendue de son attachement .
Une inexplicable peur avait fait évanouir toute coquetterie , et l' amour se montra pendant un moment sans voile .
Ils se turent comme pour prolonger la douceur de ce moment .
Malheureusement au milieu d' eux Mme du Gua voyait tout ; et , comme un avare qui donne un festin , elle paraissait leur compter les morceaux et leur mesurer la vie .
En proie à leur bonheur , les deux amants arrivèrent , sans se douter du chemin qu' ils avait fait , à la partie de la route qui se trouve au fond de la vallée d' Ernée , et qui forme le premier des trois bassins à travers lesquels se sont passés les événements qui servent d' exposition à cette histoire .
Là , Francine aperçut et montra d' étranges figures qui semblaient se mouvoir comme des sombres à travers les arbres et dans les ajoncs dont les champs étaient entourés .

LES CHOUANS (VIII, milit)
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