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- Eh bien , reprit Francine , puisqu' on ne peut rien vous cacher , convenez - en , Marie ? votre conduite n' exciterait - elle pas la curiosité d' un saint . Hier matin sans ressources , aujourd' hui les mains pleines d' or , on vous donne à Mortagne la malle - poste pillée dont le conducteur a été tué , vous êtes protégée par les troupes du gouvernement , et suivie par un homme que je regarde comme votre mauvais génie ...
- Qui , Corentin ? ... demanda la jeune inconnue en accentuant ces deux mots par deux inflexions de voix pleines d' un mépris qui déborda même dans le geste par lequel elle montra le cavalier . Écoute , Francine , reprit - elle , te souviens - tu de Patriote , ce singe que j' avais habitué à contrefaire Danton , et qui nous amusait tant ?
- Oui , mademoiselle .
- Eh bien , en avais - tu peur ?
- Il était enchaîné .
- Mais Corentin est muselé , mon enfant .
- Nous badinions avec Patriote pendant des heures entières , dit Francine , je le sais , mais il finissait toujours par nous jouer quelque mauvais tour . " à ces mots , Francine se rejeta vivement au fond de la voiture , près de sa maîtresse , lui prit les mains pour les caresser avec des manières câlines , en lui disant d' une voix affectueuse : " Mais vous m' avez devinée , Marie , et vous ne me répondez pas .
Comment , après ces tristesses qui m' ont fait tant de mal , oh ! bien du mal , pouvez - vous en vingt - quatre heures devenir d' une gaieté folle , comme lorsque vous parliez de vous tuer .
D' où vient ce changement ? J' ai le droit de vous demander un peu compte de votre âme .
Elle est à moi avant d' être à qui que ce soit , car jamais vous ne serez mieux aimée que vous ne l' êtes par moi . Parlez , mademoiselle .
- Eh bien , Francine , ne vois - tu pas autour de nous le secret de ma gaieté . Regarde les houppes jaunies de ces arbres lointains ? pas une ne se ressemble . à les contempler de loin , ne dirait - on pas d' une vieille tapisserie de château .
Vois ces haies derrière lesquelles il peut se rencontrer des Chouans à chaque instant . Quand je regarde ces ajoncs , il me semble apercevoir des canons de fusil . J' aime ce renaissant péril qui nous environne .

LES CHOUANS (VIII, milit)
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