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Hulot crut apercevoir , à travers les intervalles laissés par les têtes qui se pressaient autour de ce jeune homme , un large cordon rouge sur une veste entrouverte . Les yeux du commandant , attirés d' abord par cette royale décoration , alors complètement oubliée , se portèrent soudain sur un visage qu' il perdit bientôt de vue , forcé par les accidents du combat de veiller à la sûreté et aux évolutions de sa petite troupe . Aussi , à peine vit - il des yeux étincelants dont la couleur lui échappa , des cheveux blonds et des traits assez délicats , brunis par le soleil .
Cependant il fut frappé de l' éclat d' un cou nu dont la blancheur était rehaussée par une cravate noire , lâche et négligemment nouée .
L' attitude fougueuse et animée du jeune chef était militaire , à la manière de ceux qui veulent dans un combat une certaine poésie de convention . Sa main bien gantée agitait en l' air une épée qui flamboyait au soleil .
Sa contenance accusait tout à la fois de l' élégance et de la force . Son exaltation consciencieuse , relevée encore par les charmes de la jeunesse , par des manières distinguées , faisait de cet émigré une gracieuse image de la noblesse française ; il contrastait vivement avec Hulot , qui , à quatre pas de lui , offrait à son tour une image vivante de cette énergique République pour laquelle ce vieux soldat combattait , et dont la figure sévère , l' uniforme bleu à revers rouges usés , les épaulettes noircies et pendant derrière les épaules , peignaient si bien les besoins et le caractère .
La pose gracieuse et l' expression du jeune homme n' échappèrent pas à Hulot , qui s' écria en voulant le joindre : " Allons , danseur d' Opéra , avance donc que je te démolisse . "
Le chef royaliste , courroucé de son désavantage momentané , s' avança par un mouvement de désespoir ; mais au moment où ses gens le virent se hasardant ainsi , tous se ruèrent sur les Bleus . Soudain une voix douce et claire domina le bruit du combat : " Ici saint Lescure est mort ! Ne le vengerez - vous pas ? "
à ces mots magiques , l' effort des Chouans devint terrible , et les soldats de la République eurent grande peine à se maintenir , sans rompre leur petit ordre de bataille .
" Si ce n' est pas un jeune homme , se disait Hulot en rétrogradant pied à pied , nous n' aurions pas été attaqués . A - t - on jamais vu les Chouans livrant bataille ? Mais tant mieux , on ne nous tuera pas comme des chiens le long de la route .

LES CHOUANS (VIII, milit)
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