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Si l' imagination recueillie veut apercevoir pleinement les riches accidents d' ombre et de lumière , les horizons vaporeux des montagnes , les fantastiques perspectives qui naissaient des places où manquaient les arbres , où s' étendaient les eaux , où fuyaient de coquettes sinuosités ; si le souvenir colorie , pour ainsi dire , ce dessin aussi fugace que le moment où il est pris , les personnes pour lesquelles ces tableaux ne sont pas sans mérite auront une image imparfaite du magique spectacle par lequel l' âme encore impressionnable des jeunes officiers fut comme surprise .
Pensant alors que ces pauvres gens abandonnaient à regret leurs pays et leurs chères coutumes pour aller mourir peut - être en des terres étrangères , ils leur pardonnèrent involontairement un retard qu' ils comprirent .
Puis , avec cette générosité naturelle aux soldats , ils déguisèrent leur condescendance sous un feint désir d' examiner les positions militaires de cette belle contrée . Mais Hulot , qu' il est nécessaire d' appeler le Commandant , pour éviter de lui donner le nom peu harmonieux de Chef de demi - brigade , était un de ces militaires qui , dans un danger pressant , ne sont pas hommes à se laisser prendre aux charmes des paysages , quand même ce seraient ceux du paradis terrestre .
Il secoua donc la tête par un geste négatif , et contracta deux gros sourcils noirs qui donnaient une expression sévère à sa physionomie .
" Pourquoi diable ne viennent - ils pas ? demanda - t - il pour la seconde fois de sa voix grossie par les fatigues de la guerre . Se trouve - t - il dans le village quelque bonne Vierge à laquelle ils donnent une poignée de main ?
- Tu demandes pourquoi ? " répondit une voix .
En entendant des sons qui semblaient partir de la corne avec laquelle les paysans de ces vallons rassemblent leurs troupeaux , le commandant se retourna brusquement comme s' il eût senti la pointe d' une épée , et vit à deux pas un personnage encore plus bizarre qu' aucun de ceux emmenés à Mayenne pour servir la République .
Cet inconnu , homme trapu , large des épaules , lui montrait une tête presque aussi grosse que celle d' un boeuf , avec laquelle elle avait plus d' une ressemblance .
Des narines épaisses faisaient paraître son nez encore plus court qu' il ne l' était . Ses larges lèvres retroussées par des dents blanches comme de la neige , ses grands et ronds yeux noirs garnis de sourcils menaçants , ses oreilles pendantes et ses cheveux roux appartenaient moins à notre belle race caucasienne qu' au genre des herbivores .
Enfin l' absence complète des autres caractères de l' homme social rendait cette tête nue plus remarquable encore .
La face , comme bronzée par le soleil et dont les anguleux contours offraient une vague analogie avec le granit qui forme le sol de ces contrées , était le seule partie visible du corps de cet être singulier .

LES CHOUANS (VIII, milit)
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