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Véronique n' y était pas entrée six fois en quatorze ans , les grands appartements lui étaient complètement inutiles , elle n' y avait jamais reçu ; mais l' effort qu' elle venait de faire pour accomplir sa dernière obligation et pour dompter sa dernière révolte lui avait ôté ses forces , elle ne put monter chez elle . Quand l' illustre médecin eut pris la main à la malade et tâté le pouls , il regarda M . Roubaud en lui faisant un signe ; à eux deux , ils la prirent et la portèrent sur le lit de cette chambre .
Aline ouvrit brusquement les portes . Comme tous les lits de parade , ce lit n' avait pas de draps , les deux médecins déposèrent Mme Graslin sur le couvre = pied de damas rouge et l' y étendirent .
Roubaud ouvrit les fenêtres , poussa les persiennes et appela . Les domestiques , la vieille Sauviat accoururent . On alluma les bougies jaunies des candélabres .
" Il est dit , s' écria la mourante en souriant , que ma mort sera ce qu' elle doit être pour une âme chrétienne : une fête ! " Pendant la consultation , elle dit encore : " Monsieur le procureur général a fait son métier , je m' en allais , il m' a poussée ... " La vieille mère regarda sa fille en se mettant un doigt sur les lèvres .
" Ma mère , je parlerai , lui répondit Véronique . Voyez ! le doigt de Dieu est en tout ceci : je vais expirer dans une chambre rouge .
"
La Sauviat sortit épouvantée de ce mot : " Aline , dit - elle , elle parle , elle parle !
- Ah ! Madame n' a plus son bon sens , s' écria la fidèle femme de chambre qui apportait des draps . Allez chercher M . le curé , madame .
- Il faut déshabiller votre maîtresse , dit Bianchon à la femme de chambre quand elle entra .
- Ce sera bien difficile , Madame est enveloppée d' un cilice en crin .
- Comment ! au dix = neuvième siècle , s' écria le grand médecin , il se pratique encore de semblables horreurs !
- Mme Graslin ne m' a jamais permis de lui palper l' estomac , dit M . Roubaud . Je n' ai rien pu savoir de sa maladie que par l' état du visage , par celui du pouls , et par des renseignements que j' obtenais de sa mère et de sa femme de chambre . "

LE CURE DE VILLAGE (IX, campagn)
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