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Je voulais passer des examens si satisfaisants , que ma place à l' École fût certaine et assez avancée pour me donner le droit à la remise de la pension que je voulais vous éviter de payer : j' ai triomphé ! Je frémis aujourd' hui quand je pense à l' effroyable conscription de cerveaux livrés chaque année à l' État par l' ambition des familles qui , plaçant de si cruelles études au temps où l' adulte achève ses diverses croissances , doit produire des malheurs inconnus , en tuant à la lueur des lampes certaines facultés précieuses qui plus tard se développeraient grandes et fortes .
Les lois de la Nature sont impitoyables , elles ne cèdent rien aux entreprises ni aux vouloirs de la Société .
Dans l' ordre moral comme dans l' ordre naturel , tout abus se paie .
Les fruits demandés avant le temps en serre chaude à un arbre viennent aux dépens de l' arbre même ou de la qualité de ses produits .
La Quintinie tuait des orangers pour donner à Louis XIV un bouquet de fleurs , chaque matin , en toute saison . Il en est de même pour les intelligences . La force demandée à des cerveaux adultes est un escompte de leur avenir .
Ce qui manque essentiellement à notre époque est l' esprit législatif . L' Europe n' a point encore eu de vrais législateurs depuis Jésus = Christ , qui , n' ayant point donné son Code politique , a laissé son oeuvre incomplète .
Ainsi , avant d' établir les écoles spéciales et leur mode de recrutement , y a - t - il eu de ces grands penseurs qui tiennent dans leur tête l' immensité des relations totales d' une institution avec les forces humaines qui en balancent les avantages et les inconvénients , qui étudient dans le passé les lois de l' avenir ? S' est - on enquis du sort des hommes exceptionnels qui , par un hasard fatal , savaient les sciences humaines avant le temps ? En a - t - on calculé la rareté ? En a - t - on examiné la fin ? A - t - on recherché les moyens par lesquels ils ont pu soutenir la perpétuelle étreinte de la pensée ? Combien , comme Pascal , sont morts prématurément , usés par la science ? A - t - on recherché l' âge auquel ceux qui ont vécu longtemps avaient commencé leurs études ? Savait - on , sait - on , au moment où j' écris , les dispositions intérieures des cerveaux qui peuvent supporter l' assaut prématuré des connaissances humaines ? Soupçonne - t - on que cette question tient à la physiologie de l' homme avant tout ? Eh bien , je crois , moi , maintenant , que la règle générale est de rester longtemps dans l' état végétatif de l' adolescence .

LE CURE DE VILLAGE (IX, campagn)
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