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" Gérard me semble avoir une tête froide et le coeur ardent , voilà bien l' homme qui vous est nécessaire . Paris est en ce moment travaillé de doctrines nouvelles , je serais enchanté que ce garçon ne donnât pas dans les pièges que tendent des esprits ambitieux aux instincts de la généreuse jeunesse française . Si je n' approuve pas entièrement la vie assez hébétée de la province , je ne saurais non plus approuver cette vie passionnée de Paris , cette ardeur de rénovation qui pousse la jeunesse dans des voies nouvelles .
Vous seule connaissez mes opinions : selon moi , le monde moral tourne sur lui - même comme le monde matériel .
Mon pauvre protégé demande des choses impossibles . Aucun pouvoir ne tiendrait devant des ambitions si violentes , si impérieuses , absolues . Je suis l' ami du terre à terre , de la lenteur en politique , et j' aime peu les déménagements sociaux auxquels tous ces grands esprits nous soumettent .
Je vous confie mes principes de vieillard monarchique et encroûté parce que vous êtes discrète ! ici , je me tais au milieu de braves gens qui , plus ils s' enfoncent , plus ils croient au progrès ; mais je souffre en voyant les maux irréparables déjà faits à notre cher pays .
" J' ai donc répondu à ce jeune homme , qu' une tâche digne de lui l' attendait . Il viendra vous voir ; et quoique sa lettre , que je joins à la mienne , vous permette de le juger , vous l' étudierez encore , n' est - ce pas ? Vous autres femmes , vous devinez beaucoup de choses à l' aspect des gens .
D' ailleurs , tous les hommes , même les plus indifférents , dont vous vous servez doivent vous plaire . S' il ne vous convient pas , vous pourrez le refuser , mais s' il vous convenait , chère enfant , guérissez - le de son ambition mal déguisée , faites - lui épouser la vie heureuse et tranquille des champs où la bienfaisance est perpétuelle , où les qualités des âmes grandes et fortes peuvent s' exercer continuellement , où l' on découvre chaque jour dans les productions naturelles des raisons d' admiration et dans les vrais progrès , dans les réelles améliorations , une occupation digne de l' homme .
Je n' ignore point que les grandes idées engendrent de grandes actions ; mais comme ces sortes d' idées sont fort rares , je trouve qu' à l' ordinaire , les choses valent mieux que les idées .
Celui qui fertilise un coin de terre , qui perfectionne un arbre à fruit , qui applique une herbe à un terrain ingrat est bien au = dessus de ceux qui cherchent des formules pour l' Humanité .

LE CURE DE VILLAGE (IX, campagn)
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