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Aussi Véronique recueillit - elle dans le silence de ces cimes , dans la senteur des bois , dans la sérénité de l' air , comme elle le dit le soir à M . Bonnet la certitude d' une clémence auguste . Elle entrevit la possibilité d' un ordre de faits plus élevés que celui dans lequel avaient jusqu' alors tourné ses rêveries .
Elle sentit une sorte de bonheur . Elle n' avait pas , depuis longtemps , éprouvé tant de paix . Devait - elle ce sentiment à la similitude qu' elle trouvait entre ces paysages et les endroits épuisés , desséchés de son âme ? Avait - elle vu ces troubles de la nature avec une sorte de joie , en pensant que la matière était punie là , sans avoir péché ? Certes , elle fut puissamment émue ; car , à plusieurs reprises , Colorat et Champion se la montrèrent comme s' ils la trouvaient transfigurée .
Dans un certain endroit , Véronique aperçut dans les roides pentes des torrents je ne sais quoi de sévère .
Elle se surprit à désirer d' entendre l' eau bruissant dans ces ravines ardentes .
" Toujours aimer ! " pensa - t - elle . Honteuse de ce mot qui lui fut jeté comme par une voix , elle poussa son cheval avec témérité vers le premier pic de la Corrèze , où , malgré l' avis de ses deux guides , elle s' élança .
Elle atteignit seule au sommet de ce piton , nommé la Roche = Vive , et y resta pendant quelques instants , occupée à voir tout le pays .
Après avoir entendu la voix secrète de tant de créations qui demandaient à vivre , elle reçut en elle - même un coup qui la détermina à déployer pour son oeuvre cette persévérance tant admirée et de laquelle elle donna tant de preuves .
Elle attacha son cheval par la bride à un arbre , alla s' asseoir sur un quartier de roche , en laissant errer ses regards sur cet espace où la nature se montrait marâtre , et ressentit dans son coeur les mouvements maternels qu' elle avait jadis éprouvés en regardant son enfant .
Préparée à recevoir la sublime instruction que présentait ce spectacle par les méditations presque involontaires qui , selon sa belle expression , avaient vanné son coeur , elle s' y éveilla d' une léthargie .
" Je compris alors , lit - elle au curé que nos âmes devaient être labourées aussi bien que la terre . "

LE CURE DE VILLAGE (IX, campagn)
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