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Ces couleurs rousses , fauves , grises , artistement fondues par les reflets pâles du soleil d' octobre , s' harmoniaient à cette plaine infertile , à cette immense jachère , verdâtre comme une eau stagnante . Une pensée du prêtre allait commenter ce beau spectacle , muet d' ailleurs : pas un arbre , pas un oiseau , la mort dans la plaine , le silence dans la forêt ; çà et là , quelques fumées dans les chaumières du village .
Le château semblait sombre comme sa maîtresse .
Par une loi singulière , tout imite dans une maison celui qui y règne , son esprit y plane . Mme Graslin , frappée à l' entendement par les paroles du curé , et frappée au coeur par la conviction , atteinte dans sa tendresse par le timbre angélique de cette voix , s' arrêta tout à coup .
Le curé leva le bras et montra la forêt , Véronique la regarda .
" Ne trouvez - vous pas à ceci quelque ressemblance vague avec la vie sociale ? à chacun sa destinée ! Combien d' inégalités dans cette masse d' arbres ! Les plus haut perchés manquent de terre végétale et d' eau , ils meurent les premiers ! ...
- Il en est que la serpe de la femme qui fait du bois arrête dans la grâce de leur jeunesse ! dit - elle avec amertume .
- Ne retombez plus dans ces sentiments , reprit le curé sévèrement , quoique avec indulgence . Le malheur de cette forêt est de n' avoir pas été coupée , voyez - vous le phénomène que ses masses présentent ? "
Véronique , pour qui les singularités de la nature forestière étaient peu sensibles , arrêta par obéissance son regard sur la forêt et le reporta doucement sur le curé .
" Vous ne remarquez pas , dit - il en devinant dans ce regard l' ignorance de Véronique , des lignes où les arbres de toute espèce sont encore verts ?
- Ah ! c' est vrai , s' écria - t - elle . Pourquoi ?
- Là , reprit le curé , se trouve la fortune de Montégnac et la vôtre , une immense fortune que j' avais signalée à M . Graslin . Vous voyez les sillons de trois vallées , dont les eaux se perdent dans le torrent du Gabou .

LE CURE DE VILLAGE (IX, campagn)
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