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Par une triste soirée d' automne , en me promenant seul avec ma mère le long du boulevard Bourdon , alors un des plus tristes lieux de Paris , je déchargeai mon coeur dans le sien , et lui dis que je ne voyais de vie possible pour moi que dans l' Église . Mes goûts , mes idées , mes amours même devaient être contrariés tant que vivrait mon père .
Sous la soutane du prêtre , il serait forcé de me respecter , je pourrais ainsi devenir le protecteur de ma famille en certaines occasions . Ma mère pleura beaucoup . En ce moment mon frère aîné , devenu depuis général et mort à Leipsick , s' engageait comme simple soldat , poussé hors du logis par les raisons qui décidaient ma vocation .
J' indiquai à ma mère , comme moyen de salut pour elle , de choisir un gendre plein de caractère , de marier ma soeur dès qu' elle serait en âge d' être établie , et de s' appuyer sur cette nouvelle famille .
Sous le prétexte d' échapper à la conscription sans rien coûter à mon père , et en déclarant aussi ma vocation , j' entrai donc en 1807 , à l' âge de dix = neuf ans , au séminaire de Saint = Sulpice .
Dans ces vieux bâtiments célèbres , je trouvai la paix et le bonheur , que troublèrent seulement les souffrances présumées de ma soeur et de ma mère ; leurs douleurs domestiques s' accroissaient sans doute , car lorsqu' elles me voyaient , elles me confirmaient dans ma résolution .
Initié peut = être par mes peines aux secrets de la Charité , comme l' a définie le grand saint Paul dans son adorable épître , je voulus panser les plaies du pauvre dans un coin de terre ignoré , puis prouver par mon exemple , si Dieu daignait bénir mes efforts , que la religion catholique , prise dans ses oeuvres humaines , est la seule vraie , la seule bonne et belle puissance civilisatrice .
Pendant les derniers jours de mon diaconat , la grâce m' a sans doute éclairé .
J' ai pleinement pardonné à mon père , en qui j' ai vu l' instrument de ma destinée .
Malgré une longue et tendre lettre où j' expliquais ces choses en y montrant le doigt de Dieu imprimé partout , ma mère pleura bien des larmes en voyant tomber mes cheveux sous les ciseaux de l' Église ; elle savait , elle , à combien de plaisirs je renonçais , sans connaître à quelles gloires secrètes j' aspirais .
Les femmes sont si tendres ! Quand j' appartins à Dieu , je ressentis un calme sans bornes , je ne me sentais ni besoins , ni vanités , ni soucis des biens qui inquiètent tant les hommes .
Je pensais que la Providence devait prendre soin de moi comme d' une chose à elle .

LE CURE DE VILLAGE (IX, campagn)
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