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Quand une maison , une terre , un village , un pays , ont passé d' un état déplorable à un état satisfaisant , sans être encore ni splendide ni même riche , la vie semble si naturelle aux êtres vivants , qu' au premier abord , le spectateur ne peut jamais deviner les efforts immenses , infinis de petitesse , grandioses de persistance , le travail enterré dans les fondations , les labours oubliés sur lesquels reposent les premiers changements . Aussi ce spectacle ne parut - il pas extraordinaire au jeune abbé quand il embrassa par un coup d' oeil ce gracieux paysage .
Il ignorait l' état de ce pays avant l' arrivée du curé Bonnet .
Il fit quelques pas de plus en montant le sentier , et revit bientôt , à une centaine de toises au = dessus des jardins dépendant des maisons du haut Montégnac , l' église et le presbytère , qu' il avait aperçus les premiers de loin , confusément mêlés aux ruines imposantes et enveloppées par des plantes grimpantes du vieux castel de Montégnac , une des résidences de la maison de Navarreins au douzième siècle .
Le presbytère , maison sans doute primitivement bâtie pour un garde principal ou pour un intendant , s' annonçait par une longue et haute terrasse plantée de tilleuls , d' où la vue planait sur le pays .
L' escalier de cette terrasse et les murs qui la soutenaient étaient d' une ancienneté constatée par les ravages du temps .
Les pierres de l' escalier , déplacées par la force imperceptible mais continue de la végétation , laissaient passer de hautes herbes et des plantes sauvages .
La mousse plate qui s' attache aux pierres avait appliqué son tapis vert dragon sur la hauteur de chaque marche . Les nombreuses familles des pariétaires , la camomille , les cheveux de Vénus sortaient par touffes abondantes et variées entre les barbacanes de la muraille , lézardée malgré son épaisseur .
La botanique y avait jeté la plus élégante tapisserie de fougères découpées , de gueules = de = loup violacées à pistils d' or , de vipérines bleues , de cryptogames bruns , si bien que la pierre semblait être un accessoire , et trouait cette fraîche tapisserie à de rares intervalles .
Sur cette terrasse , le buis dessinait les figures géométriques d' un jardin d' agrément , encadré par la maison du curé , au = dessus de laquelle le roc formait une marge blanchâtre ornée d' arbres souffrants , et penchés comme un plumage .
Les ruines du château dominaient et cette maison et l' église .
Ce presbytère construit en cailloux et en mortier , avait un étage surmonté d' un énorme toit en pente à deux pignons , sous lequel s' étendaient des greniers sans doute vides , vu le délabrement des lucarnes .

LE CURE DE VILLAGE (IX, campagn)
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