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L' hôtel Graslin fut donc une oasis où les esprits supérieurs se désennuyèrent de la vie de province , où les gens attachés au gouvernement purent causer à coeur ouvert sur la politique sans avoir à craindre qu' on répétât leurs paroles , où l' on se moqua finement de tout ce qui était moquable , où chacun quitta l' habit de sa profession pour s' abandonner à son vrai caractère .
Ainsi , après avoir été la plus obscure fille de Limoges , après avoir été regardée comme nulle , laide et sotte , au commencement de l' année 1828 , Mme Graslin fut regardée comme la première personne de la ville et la plus célèbre du monde féminin .
Personne ne venait la voir le matin , car chacun connaissait ses habitudes de bienfaisance et la ponctualité de ses pratiques religieuses ; elle allait presque toujours entendre la première messe , afin de ne pas retarder le déjeuner de son mari qui n' avait aucune régularité , mais qu' elle voulait toujours servir .
Graslin avait fini par s' habituer à sa femme en cette petite chose .
Jamais Graslin ne manquait à faire l' éloge de sa femme , il la trouvait accomplie , elle ne lui demandait rien , il pouvait entasser écus sur écus et s' épanouir dans le terrain des affaires ; il avait ouvert des relations avec la maison Brézac , il voguait par une marche ascendante et progressive sur l' océan commercial ; aussi son intérêt surexcité le maintenait - il dans la calme et enivrante fureur des joueurs attentifs aux grands événements du tapis vert de la Spéculation .
Pendant cet heureux temps , et jusqu' au commencement de l' année 1829 , Mme Graslin arriva , sous les yeux de ses amis , à un point de beauté vraiment extraordinaire , et dont les raisons ne furent jamais bien expliquées .
Le bleu de l' iris s' agrandit comme une fleur et diminua le cercle brun des prunelles , en paraissant trempé d' une lueur moite et languissante , pleine d' amour . On vit blanchir , comme un faîte à l' aurore , son front illuminé par des souvenirs , par des pensées de bonheur , et ses lignes se purifièrent à quelques feux intérieurs .
Son visage perdit ces ardents tons bruns qui annonçaient un commencement d' hépatite , la maladie des tempéraments vigoureux ou des personnes dont l' âme est souffrante , dont les affections sont contrariées .

LE CURE DE VILLAGE (IX, campagn)
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