----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

Au commencement de l' année 1828 , Véronique avait retrouvé la santé florissante qui rendit si belle l' innocente jeune fille assise à sa fenêtre dans la vieille maison , rue de la Cité , mais elle avait alors acquis une grande instruction littéraire , elle savait et penser et parler . Un jugement exquis donnait à son trait de la profondeur .
Habituée aux petites choses du monde , elle portait avec une grâce infinie les toilettes à la mode . Quand par hasard , vers ce temps , elle reparaissait dans un salon , elle s' y vit , non sans surprise , entourée par une sorte d' estime respectueuse .
Ce sentiment et cet accueil furent dus aux deux vicaires généraux et au vieux Grossetête . Instruits d' une si belle vie cachée et de bienfaits si constamment accomplis , l' évêque et quelques personnes influentes avaient parlé de cette fleur de piété vraie , de cette violette parfumée de vertus , et il s' était fait alors en faveur et à l' insu de Mme Graslin une de ces réactions qui , lentement préparées , n' en ont que plus de durée et de solidité .
Ce revirement de l' opinion amena l' influence du salon de Véronique , qui fut dès cette année hanté par les supériorités de la ville , et voici comment .
Le jeune vicomte de Grandville fut envoyé , vers la fin de cette année , en qualité de substitut , au parquet de la cour de Limoges , précédé de la réputation que l' on fait d' avance en province à tous les Parisiens .
Quelques jours après son arrivée , en pleine soirée de Préfecture , il répondit à une assez sotte demande que la femme la plus aimable , la plus spirituelle , la plus distinguée de la ville était Mme Graslin .
" Elle en est peut = être aussi la plus belle ? demanda la femme du receveur général .
- Je n' ose en convenir devant vous , répliqua - t - il .
Je suis alors dans le doute . Mme Graslin possède une beauté qui ne doit vous inspirer aucune jalousie , elle ne se montre jamais au grand jour . Mme Graslin est belle pour ceux qu' elle aime , et vous êtes belle pour tout le monde .
Chez Mme Graslin , l' âme , une fois mise en mouvement par un enthousiasme vrai , répand sur sa figure une expression qui la change . Sa physionomie est comme un paysage triste en hiver , magnifique en été , le monde la verra toujours en hiver .
Quand elle cause avec des amis sur quelque sujet littéraire ou philosophique , sur des questions religieuses qui l' intéressent , elle s' anime , et il apparaît soudain une femme inconnue d' une beauté merveilleuse .

LE CURE DE VILLAGE (IX, campagn)
Page: 677