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Cette bienfaisance active , mêlée au plus strict accomplissement des devoirs religieux , fut ensevelie dans un profond mystère et dirigée d' ailleurs par les curés de la ville , avec qui Véronique s' entendait pour toutes ses bonnes oeuvres , afin de ne pas laisser perdre entre les mains du vice l' argent utile à des malheurs immérités . Pendant cette période elle conquit une amitié tout aussi vive , tout aussi précieuse que celle du vieux Grossetête , elle devint l' ouaille bien = aimée d' un prêtre supérieur , persécuté pour son mérite incompris , un des Grands vicaires du diocèse , nommé l' abbé Dutheil .
Ce prêtre appartenait à cette minime portion du clergé français qui penche vers quelques concessions , qui voudrait associer l' Église aux intérêts populaires pour lui faire reconquérir , par l' application des vraies doctrines évangéliques , son ancienne influence sur les masses , qu' elle pourrait alors relier à la monarchie .
Soit que l' abbé Dutheil eût reconnu l' impossibilité d' éclairer la cour de Rome et le haut clergé , soit qu' il eût sacrifié ses opinions à celles de ses supérieurs , il demeura dans les termes de la plus rigoureuse orthodoxie , tout en sachant que la seule manifestation de ses principes lui fermait le chemin de l' épiscopat .
Ce prêtre éminent offrait la réunion d' une grande modestie chrétienne et d' un grand caractère .
Sans orgueil ni ambition , il restait à son poste en y accomplissant ses devoirs au milieu des périls .
Les Libéraux de la ville ignoraient les motifs de sa conduite , ils s' appuyaient de ses opinions et le comptaient comme un patriote , mot qui signifie révolutionnaire dans la langue catholique .
Aimé par les inférieurs qui n' osaient proclamer son mérite , mais redouté par ses égaux qui l' observaient , il gênait l' évêque .
Ses vertus et son savoir , enviés peut = être , empêchaient toute persécution ; il était impossible de se plaindre de lui , quoiqu' il critiquât les maladresses politiques par lesquelles le Trône et le Clergé se compromettaient mutuellement ; il en signalait les résultats à l' avance et sans succès , comme la pauvre Cassandre , également maudite avant et après la chute de sa patrie .
A moins d' une révolution , l' abbé Dutheil devait rester comme une de ces pierres cachées dans les fondations et sur laquelle tout repose .
On reconnaissait son utilité , mais on le laissait à sa place , comme la plupart des solides esprits dont l' avènement au pouvoir est l' effroi des médiocrités .
Si , comme l' abbé de Lamennais , il eût pris la plume , il aurait été sans doute comme lui foudroyé par la cour de Rome .

LE CURE DE VILLAGE (IX, campagn)
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