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Vous le voyez , mon ami , tout est piège pour le malheureux , les plus mièvres choses ramènent les malades à leur mal ; mais le plus grand tort de certains maux est la persistance qui les fait devenir une idée . Une douleur constante ne serait - elle pas une pensée divine ? Vous aimez les fleurs pour elles - mêmes ; tandis que je les aime comme j' aime à entendre une belle musique .
Ainsi , comme je vous le disais , le secret d' une foule de choses me manque . Vous , mon vieil ami , vous avez une passion , vous êtes horticulteur .
à votre retour en ville , communiquez - moi votre goût , faites que j' aille à ma serre , d' un pied agile comme vous allez à la vôtre , contempler les développements des plantes , vous épanouir et fleurir avec elles , admirer ce que vous avez créé , voir des couleurs nouvelles , inespérées qui s' étalent et croissent sous vos yeux par la vertu de vos soins .
Je sens un ennui navrant .
Ma serre à moi ne contient que des âmes souffrantes . Les misères que je m' efforce de soulager m' attristent l' âme , et quand je les épouse , quand après avoir vu quelque jeune femme sans linge pour son nouveau = né , quelque vieillard sans pain , j' ai pourvu à leurs besoins , les émotions que m' a causées leur détresse calmée ne suffisent pas à mon âme .
Ah ! mon ami , je sens en moi des forces superbes , et malfaisantes peut = être , que rien ne peut humilier , que les plus durs commandements de la religion n' abattent point .
En allant voir ma mère , et me trouvant seule dans la campagne , il me prend des envies de crier , et je crie .
Il semble que mon corps est la prison où quelque mauvais génie retient une créature gémissant et attendant les paroles mystérieuses qui doivent briser une forme importune .
Mais la comparaison n' est pas juste . Chez moi , n' est - ce pas au contraire le corps qui s' ennuie , si je puis employer cette expression ? La religion n' occupe - t - elle pas mon âme , la lecture et ses richesses ne nourrissent - elles pas incessamment mon esprit ? Pourquoi désiré - je une souffrance qui romprait la paix énervante de ma vie ? Si quelque sentiment , quelque manie à cultiver ne vient à mon aide , je me sens aller dans un gouffre où toutes les idées s' émoussent , où le caractère s' amoindrit , où les ressorts se détendent , où les qualités s' assouplissent , où toutes les forces de l' âme s' éparpillent , et où je ne serai plus l' être que la nature a voulu que je sois .
Voilà ce que signifient mes cris .

LE CURE DE VILLAGE (IX, campagn)
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