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L' amour restait dans son coeur à l' état de ces germes qui attendent un coup de soleil . Sa profonde mélancolie engendrée par de constantes méditations sur elle - même la ramena par des sentiers obscurs aux rêves brillants de ses derniers jours de jeune fille .
Elle dut contempler plus d' une fois ses anciens poèmes romanesques en en devenant alors à la fois le théâtre et le sujet . Elle revit cette île baignée de lumière , fleurie , parfumée où tout lui caressait l' âme .
Souvent ses yeux pâlis embrassèrent les salons avec une curiosité pénétrante : les hommes y ressemblaient tous à Graslin , elle les étudiait et semblait interroger leurs femmes , mais en n' apercevant aucune de ses douleurs intimes répétées sur les figures , elle revenait sombre et triste , inquiète d' elle - même .
Les auteurs qu' elle avait lus le matin répondaient à ses plus hauts sentiments , leur esprit lui plaisait et le soir elle entendait des banalités qu' on ne déguisait même pas sous une forme spirituelle , des conversations sottes , vides , ou remplies par des intérêts locaux , personnels , sans importance pour elle .
Elle s' étonnait de la chaleur déployée dans des discussions où il ne s' agissait point de sentiment , pour elle l' âme de la vie .
On la vit souvent les yeux fixes , hébétée , pensant sans doute aux heures de sa jeunesse ignorante , passées dans cette chambre pleine d' harmonies , alors détruites comme elle .
Elle sentit une horrible répugnance à tomber dans le gouffre de petitesses où tournaient les femmes parmi lesquelles elle était forcée de vivre .
Ce dédain écrit sur son front , sur ses lèvres , et mal déguisé , fut pris pour l' insolence d' une parvenue .
Mme Graslin observa sur tous les visages une froideur , et sentit dans tous les discours une âcreté dont les raisons lui furent inconnues , car elle n' avait pas encore pu se faire une amie assez intime pour être éclairée ou conseillée par elle ; l' injustice qui révolte les petits esprits ramène en elles - mêmes les âmes élevées , et leur communique une sorte d' humilité ; Véronique se condamna , chercha ses torts ; elle voulut être affable , on la prétendit fausse ; elle redoubla de douceur , on la fit passer pour hypocrite , et sa dévotion venait en aide à la calomnie ; elle fit des frais , elle donna des dîners et des bals , elle fut taxée d' orgueil .

LE CURE DE VILLAGE (IX, campagn)
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