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L' Auvergnate avait ordre de ne jamais dépasser la somme de trois francs pour la totalité de la dépense journalière du ménage . Le garçon de peine servait de domestique . Les commis faisaient eux - mêmes leur chambre . Les tables en bois noirci , les chaises dépaillées , les casiers les mauvais bois de lit , tout le mobilier qui garnissait le comptoir et les trois chambres situées au = dessus , ne valaient pas mille francs , y compris une caisse colossale , toute en fer , scellée dans les murs , léguée par ses prédécesseurs , et devant laquelle couchait le garçon de peine , avec deux chiens à ses pieds .
Graslin ne hantait pas le monde où il était si souvent question de lui .
Deux ou trois fois par an , il dînait chez le receveur général , avec lequel ses affaires le mettaient en relations suivies .
Il mangeait encore quelquefois à la Préfecture ; il avait été nommé membre du Conseil général du Département , à son grand regret . " Il perdait là son temps " , disait - il .
Parfois ses confrères , quand il concluait avec eux des marchés , le gardaient à déjeuner ou à dîner . Enfin il était forcé d' aller chez ses anciens patrons qui passaient les hivers à Limoges .
Il tenait si peu aux relations de société , qu' en vingt = cinq ans , Graslin n' avait pas offert un verre d' eau à qui que ce soit . Quand Graslin passait dans la rue , chacun se le montrait , en se disant : " Voilà M .
Graslin ! " C' est = à = dire voilà un homme venu sans le sou à Limoges et qui s' est acquis une fortune immense ! Le banquier auvergnat était un modèle que plus d' un père proposait à son enfant , une épigramme que plus d' une femme jetait à la face de son mari .
Chacun peut concevoir par quelles idées un homme devenu le pivot de toute la machine financière du Limousin fut amené à repousser les diverses propositions de mariage qu' on ne se lassait pas de lui faire .
Les filles de MM . Perret et Grossetête avaient été mariées avant que Graslin eût été en position de les épouser , mais comme chacune de ces dames avait des filles en bas âge , on finit par laisser Graslin tranquille , imaginant que soit le vieux Perret ou le fin Grossetête avait par avance arrangé le mariage de Graslin avec une de leurs petites = filles .
Sauviat suivit plus attentivement et plus sérieusement que personne la marche ascendante de son compatriote , il l' avait connu lors de son établissement à Limoges ; mais leurs positions respectives changèrent si fort , du moins en apparence , que leur amitié , devenue superficielle , se rafraîchissait rarement .

LE CURE DE VILLAGE (IX, campagn)
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