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Depuis l' âge de seize ans jusqu' au jour de son mariage , Véronique eut une attitude pensive et pleine de mélancolie . Dans une si profonde solitude , elle devait , comme les solitaires , examiner le grand spectacle de ce qui se passait en elle : le progrès de sa pensée , la variété des images , et l' essor des sentiments échauffés par une vie pure . Ceux qui levaient le nez en passant par la rue de la Cité pouvaient voir par les beaux jours la fille des Sauviat assise à sa fenêtre , cousant , brodant ou tirant l' aiguille au = dessus de son canevas d' un air assez songeur .
Sa tête se détachait vivement entre les fleurs qui poétisaient l' appui brun et fendillé de ses croisées à vitraux retenus dans leur réseau de plomb .
Quelquefois le reflet des rideaux de damas rouge ajoutait à l' effet de cette tête déjà si colorée ; de même qu' une fleur empourprée , elle dominait le massif aérien si soigneusement entretenu par elle sur l' appui de sa fenêtre .
Cette vieille maison naïve avait donc quelque chose de plus naïf : un portrait de jeune fille , digne de Mieris , de Van Ostade , de Terburg et de Gérard Dow , encadré dans une de ces vieilles croisées quasi détruites , frustes et brunes que leurs pinceaux ont affectionnées .
Quand un étranger , surpris de cette construction , restait béant à contempler le second étage , le vieux Sauviat avançait alors la tête de manière à se mettre en dehors de la ligne dessinée par le surplomb sûr de trouver sa fille à la fenêtre .
Le ferrailleur rentrait en se frottant les mains , et disait à sa femme en patois d' Auvergne : " Hé ! la vieille , on admire ton enfant ! "
En 1820 , il arriva , dans la vie simple et dénuée d' événements que menait Véronique , un accident qui n' eût pas eu d' importance chez toute autre jeune personne , mais qui peut = être exerça sur son avenir une horrible influence .
Un jour de fête supprimée , qui restait ouvrable pour toute la ville , et pendant lequel les Sauviat fermaient boutique , allaient à l' église et se promenaient , Véronique passa , pour aller dans la campagne , devant l' étalage d' un libraire où elle vit le livre de Paul et Virginie .
Elle eut la fantaisie de l' acheter à cause de la gravure , son père paya cent sous le fatal volume , et le mit dans la vaste poche de sa redingote .
" Ne ferais - tu pas bien de le montrer à M . le vicaire ? lui dit sa mère pour qui tout livre imprimé sentait toujours un peu le grimoire . - J' y pensais ! " répondit simplement Véronique .

LE CURE DE VILLAGE (IX, campagn)
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