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Aussi Mme Cantinet , femme sèche et jaune , à grandes dents , à lèvres froides , hébétée par le malheur , comme beaucoup de femmes du peuple , et arrivée à voir le bonheur dans les plus légers profits journaliers , eut - elle bientôt consenti à prendre avec elle Mme Sauvage comme femme de ménage . La bonne de Fraisier avait déjà reçu le mot d' ordre . Elle avait promis de tramer une toile en fil de fer autour des deux musiciens , et de veiller sur eux comme l' araignée veille sur une mouche prise .
Mme Sauvage devait avoir pour loyer de ses peines un débit de tabac : Fraisier trouvait ainsi le moyen de se débarrasser de sa prétendue nourrice , et mettait auprès de Mme Cantinet un espion et un gendarme dans la personne de la Sauvage .
Comme il dépendait de l' appartement des deux amis une chambre de domestique et une petite cuisine , la Sauvage pouvait coucher sur un lit de sangle et faire la cuisine de Schmucke .
Au moment où les femmes se présentèrent amenées par le docteur Poulain , Pons venait de rendre le dernier soupir , sans que Schmucke s' en fût aperçu . L' Allemand tenait encore dans ses mains la main de son ami , dont la chaleur s' en allait par degrés .
Il fit signe à Mme Cantinet de ne pas parler , mais la soldatesque Mme Sauvage le surprit tellement par sa tournure , qu' il laissa échapper un mouvement de frayeur , à laquelle cette femme mâle était habituée .
" Madame , dit Mme Cantinet est une dame de qui répond M . Duplanty ; elle a été cuisinière chez un évêque , elle est la probité même , elle fera la cuisine .
- Ah ! vous pouvez parler haut ! s' écria la puissante et asthmatique Sauvage , le pauvre monsieur est mort ! ... il vient de passer . " Schmucke jeta un cri perçant , il sentit la main de Pons glacée qui se roidissait , et il resta les yeux fixes arrêtés sur ceux de Pons , dont l' expression l' eût rendu fou , sans Mme Sauvage , qui , sans doute accoutumée à ces sortes de scènes , alla vers le lit en tenant un miroir , elle le présenta devant les lèvres du mort , et comme aucune respiration ne vint ternir la glace , elle sépara vivement la main de Schmucke de la main du mort .
" Quittez - la donc , monsieur , vous ne pourriez plus l' ôter ; vous ne savez pas comme les os vont se durcir ! ça va vite le refroidissement des morts . Si l' on n' apprête pas un mort pendant qu' il est encore tiède , il faut plus tard lui casser les membres ... "

LE COUSIN PONS (VII, paris)
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