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- Ah ! un petit gros , qui vous a envoyé ses domestiques vous demander pardon ... de la sottise de sa femme ... que la femme de chambre m' a fait des questions sur vous , une vieille mijaurée à qui j' avais envie d' épousseter son crispin en velours avec el manche de mon balai ! A - t - on jamais vu n' une femme de chambre porter n' un crispin en velours ! Non , ma parole d' honneur , le monde est renversé ! pourquoi fait - on des révolutions ? Dînez deux fois , si vous en avez le moyen , gueux de riches ! Mais je dis que les lois sont inutiles , qu' il n' y a plus rien de sacré , si Louis - Philippe ne maintient pas les rangs ; car enfin , si nous sommes tous égaux , pas vrai , monsieur , n' une femme de chambre ne doit pas avoir n' un crispin en velours , quand moi , mame Cibot , avec trente ans de probité , je n' en ai pas ... Voilà - t - il pas quelque chose de beau ! On doit voir qui vous êtes .
Une femme de chambre est une femme de chambre , comme moi je suis n' une concierge ! Pourquoi donc a - t - on des épaulettes à grains d' épinards dans le militaire ? à chacun son grade ! Tenez , voulez - vous que je vous dise le fin mot de tout ça ! Eh bien ! la France est perdue ! ... Et sous l' Empereur , pas vrai , monsieur ? tout ça marchait autrement .
Aussi j' ai dit à Cibot : " Tiens , vois - tu , mon homme , une maison où il y a des femmes de chambre à crispins en velours , c' est des gens sans entrailles ... "
- Sans entrailles ! c' est cela ! " répondit Pons .
Et Pons raconta ses déboires et ses chagrins à Mme Cibot qui se répandit en invectives contre les parents , et témoigna la plus excessive tendresse à chaque phrase de ce triste récit . Enfin , elle pleura !
Pour concevoir cette intimité subite entre le vieux musicien et Mme Cibot , il suffit de se figurer la situation d' un célibataire , grièvement malade pour la première fois de sa vie , étendu sur un lit de douleur , seul au monde , ayant à passer sa journée face à face avec lui - même , et trouvant cette journée d' autant plus longue qu' il est aux prises avec les souffrances indéfinissables de l' hépatite qui noircit la plus belle vie , et que , privé de ses nombreuses occupations , il tombe dans le marasme parisien , il regrette tout ce qui se voit gratis à Paris .
Cette solitude profonde et ténébreuse , cette douleur dont les atteintes embrassent le moral encore plus que le physique , l' inanité de la vie , tout pousse un célibataire , surtout quand il est déjà faible de caractère et que son coeur est sensible , crédule , à s' attacher à l' être qui le soigne , comme un noyé s' attache à une planche .
Aussi Pons écoutait - il les commérages de la Cibot avec ravissement .

LE COUSIN PONS (VII, paris)
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