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Élie Magus , à force d' acheter des diamants et de les revendre , de brocanter les tableaux et les dentelles , les hautes curiosités et les émaux , les fines sculptures et les vieilles orfèvreries , jouissait d' une immense fortune inconnue , acquise dans ce commerce , devenu si considérable . En effet , le nombre des marchands a décuplé depuis vingt ans à Paris , la ville où toutes les curiosités du monde se donnent rendez - vous .
Quant aux tableaux , ils ne se vendent que dans trois villes , à Rome , à Londres et à Paris .
Élie Magus vivait , chaussée des Minimes , petite et vaste rue qui mène à la place Royale où il possédait un vieil hôtel acheté pour un morceau de pain , comme on dit , en 1831 . Cette magnifique construction contenait un des plus fastueux appartements décorés du temps de Louis XV , car c' était l' ancien hôtel de Maulaincourt .
Bâti par ce célèbre président de la cour des Aides , cet hôtel , à cause de sa situation , n' avait pas été dévasté durant la Révolution .
Si le vieux Juif s' était décidé , contre les lois israélites , à devenir propriétaire , croyez qu' il eut bien ses raisons . Le vieillard finissait , comme nous finissons tous , par une manie poussée jusqu' à la folie .
Quoiqu' il fût avare autant que son ami feu Gobseck , il se laissa prendre par l' admiration des chefs - d' oeuvre qu' il brocantait ; mais son goût , de plus en plus épuré , difficile , était devenu l' une de ces passions qui ne sont permises qu' aux rois , quand ils sont riches et qu' ils aiment les arts .
Semblable au second roi de Prusse , qui ne s' enthousiasmait pour un grenadier que lorsque le sujet atteignait à six pieds de hauteur , et qui dépensait des sommes folles pour le pouvoir joindre à son musée vivant de grenadiers , le brocanteur retiré ne se passionnait que pour des toiles irréprochables , restées telles que le maître les avait peintes , et du premier ordre dans l' oeuvre .
Aussi Élie Magus ne manquait - il pas une seule des grandes ventes , visitait - il tous les marchés , et voyageait - il par toute l' Europe .
Cette âme vouée au lucre , froide comme un glaçon , s' échauffait à la vue d' un chef - d' oeuvre , absolument comme un libertin , lassé de femmes , s' émeut devant une fille parfaite , et s' adonne à la recherche des beautés sans défauts .
Ce Don Juan des toiles , cet adorateur de l' idéal , trouvait dans cette admiration des jouissances supérieures à celles que donne à l' avare la contemplation de l' or .
Il vivait dans un sérail de beaux tableaux !

LE COUSIN PONS (VII, paris)
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