----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

Au fer - blanc , aux quinquets , aux tessons succèdent des cadres et des cuivres . Puis viennent les porcelaines . Bientôt la boutique , un moment changée en Crouteum , passe au muséum . Enfin , un jour , le vitrage poudreux s' est éclairci , l' intérieur est restauré , l' Auvergnat quitte le velours et les vestes , il porte des redingotes ! on l' aperçoit comme un dragon gardant son trésor ; il est entouré de chefs - d' oeuvre , il est devenu fin connaisseur , il a décuplé ses capitaux et ne se laisse plus prendre à aucune ruse , il sait les tours du métier .
Le monstre est là , comme une vieille au milieu de vingt jeunes filles qu' elle offre au public .
La beauté , les miracles de l' art sont indifférents à cet homme à la fois fin et grossier qui calcule ses bénéfices et rudoie les ignorants .
Devenu comédien , il joue l' attachement à ses toiles , à ses marqueteries , ou il feint la gêne , ou il suppose des prix d' acquisition , il offre de montrer des bordereaux de vente .
C' est un Protée , il est dans la même heure Jocrisse , Janot , queue rouge , ou Mondor , ou Harpagon , ou Nicodème .
Dès la troisième année , on vit chez Rémonencq d' assez belles pendules , des armures , de vieux tableaux ; et il faisait , pendant ses absences , garder sa boutique par une grosse femme fort laide , sa soeur venue du pays à pied sur sa demande .
La Rémonencq , espèce d' idiote au regard vague et vêtue comme une idole japonaise , ne cédait pas un centime sur les prix que son frère indiquait ; elle vaquait d' ailleurs aux soins du ménage , et résolvait le problème en apparence insoluble de vivre des brouillards de la Seine .
Rémonencq et sa soeur se nourrissaient de pain et de harengs , d' épluchures , de restes de légumes ramassés dans les tas d' ordures que les restaurateurs laissent au coin de leurs bornes .
à eux deux , ils ne dépensaient pas , le pain compris , douze sous par jour , et la Rémonencq cousait ou filait de manière à les gagner .
Ce commencement du négoce de Rémonencq , venu pour être commissionnaire à Paris , et qui , de 1825 à 1831 , fit les commissions des marchands de curiosités du boulevard Beaumarchais et des chaudronniers de la rue de Lappe , est l' histoire normale de beaucoup de marchands de curiosités .
Les Juifs , les Normands , les Auvergnats et les Savoyards , ces quatre races d' hommes ont les mêmes instincts , ils font fortune par les mêmes moyens .
Ne rien dépenser , gagner de légers bénéfices , et cumuler intérêts et bénéfices , telle est leur Charte . Et cette Charte est une vérité .
LE COUSIN PONS (VII, paris)
Page: 575