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Arrivés à leur dernier billet de mille francs , les deux amis prirent une place aux messageries dites royales , qui les conduisirent à Paris , où ils se logèrent dans les combles de l' hôtel du Rhin , rue du Mail , chez Graff , un ancien premier garçon de Gédéon Brunner . Fritz entra commis à six cents francs chez les frères Keller , banquiers , où Graff le recommanda . Graff , maître de l' hôtel du Rhin , est le frère du fameux tailleur Graff .
Le tailleur prit Wilhem en qualité de teneur de livres . Graff trouva ces deux places exiguës aux deux enfants prodigues , en souvenir de son apprentissage à l' hôtel de Hollande .
Ces deux faits : un ami ruiné reconnu par un ami riche , et un aubergiste allemand s' intéressant à deux compatriotes sans le sou , feront croire à quelques personnes que cette histoire est un roman ; mais toutes les choses vraies ressemblent d' autant plus à des fables , que la fable prend de notre temps des peines inouïes pour ressembler à la vérité .
Fritz , commis à six cents francs , Wilhem , teneur de livres aux mêmes appointements , s' aperçurent de la difficulté de vivre dans une ville aussi courtisane que Paris . Aussi , dès la deuxième année de leur séjour , en 1837 , Wilhem , qui possédait un joli talent de flûtiste , entra - t - il dans l' orchestre dirigé par Pons , pour pouvoir mettre quelquefois du beurre sur son pain .
Quant à Fritz , il ne put trouver un supplément de paye qu' en déployant la capacité financière d' un enfant issu des Virlaz .
Malgré son assiduité , peut - être à cause de ses talents , le Francfortois n' atteignit à deux mille francs qu' en 1843 .
La Misère , cette divine marâtre , fit pour ces deux jeunes gens ce que leurs mères n' avaient pu faire , elle leur apprit l' économie , le monde et la vie ; elle leur donna cette grande , cette forte éducation qu' elle dispense à coups d' étrivières aux grands hommes , tous malheureux dans leur enfance .
Fritz et Wilhem , étant des hommes assez ordinaires , n' écoutèrent point toutes les leçons de la Misère , ils se défendirent de ses atteintes , ils lui trouvèrent le sein dur , les bras décharnés , et ils n' en dégagèrent point cette bonne fée Urgèle qui cède aux caresses des gens de génie .
Néanmoins ils apprirent toute la valeur de la fortune , et se promirent de lui couper les ailes , si jamais elle revenait à leur porte .

LE COUSIN PONS (VII, paris)
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