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Ah ! si cette histoire avait pu se jouer devant le trou du souffleur pour cette assemblée , au sein de laquelle les journalistes , les lions et quelques Parisiennes se demandaient d' où sortait la figure profondément tragique de cet Allemand surgi dans le Paris élégant en pleine première représentation , seul , dans une avant - scène , c' eût été bien plus beau que la pièce féerie de La Fiancée du diable , quoique ce fût la deux cent millième représentation de la sublime parabole jouée en Mésopotamie trois mille ans avant Jésus - Christ .
Fritz alla de pied à Strasbourg , et il y rencontra ce que l' enfant prodigue de la Bible n' a pas trouvé dans la patrie de la Sainte - Écriture . En ceci se révèle la supériorité de l' Alsace , où battent tant de coeurs généreux pour montrer à l' Allemagne la beauté de la combinaison de l' esprit français et de la solidité germanique .
Wilhem , depuis quelques jours héritier de ses père et mère , possédait cent mille francs .
Il ouvrit ses bras à Fritz , il lui ouvrit son coeur , il lui ouvrit sa maison , il lui ouvrit sa bourse . Décrire le moment où Fritz , poudreux , malheureux et quasi - lépreux , rencontra , de l' autre côté du Rhin , une vraie pièce de vingt francs dans la main d' un véritable ami , ce serait vouloir entreprendre une ode , et Pindare seul pourrait la lancer en grec sur l' humanité pour y réchauffer l' amitié mourante .
Mettez les noms de Fritz et Wilhem avec ceux de Damon et Pythias , de Castor et Pollux , d' Oreste et Pylade , de Dubreuil et Pmejà , de Schmucke et Pons , et de tous les noms de fantaisie que nous donnons aux deux amis du Monomotapa , car La Fontaine , en homme de génie qu' il était , en a fait des apparences sans corps , sans réalité ; joignez ces deux noms nouveaux à ces illustrations avec d' autant plus de raison que Wilhem mangea , de compagnie avec Fritz , son héritage , comme Fritz avait bu le sien avec Wilhem , mais en fumant , bien entendu , toutes les espèces de tabacs connus .
Les deux amis avalèrent cet héritage , chose étrange ! dans les brasseries de Strasbourg , de la manière la plus stupide , la plus vulgaire , avec des figurantes du théâtre de Strasbourg et des Alsaciennes qui , de leurs petits balais , n' avaient que le manche .
Et ils se disaient tous les matins l' un à l' autre : " Il faut cependant nous arrêter , prendre un parti , faire quelque chose avec ce qui nous reste ! " Bah ! encore aujourd' hui , disait Fritz , mais demain ... Oh ! demain ... Dans la vie des dissipateurs , Aujourd' hui est un bien grand fat , mais Demain est un grand lâche qui s' effraie du courage de son prédécesseur ; Aujourd' hui , c' est le Capitan de l' ancienne comédie , et Demain , c' est le Pierrot de nos pantomimes .

LE COUSIN PONS (VII, paris)
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