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C' était véritablement une figure typique de l' Allemagne : beaucoup de juiverie et beaucoup de simplicité , de la bêtise et du courage , un savoir qui produit l' ennui , une expérience que le moindre enfantillage rend inutile , l' abus de la bière et du tabac ; mais , pour relever toutes ces antithèses , une étincelle diabolique dans de beaux yeux bleus fatigués . Mis avec l' élégance d' un banquier , Fritz Brunner offrait aux regards de toute la salle une tête chauve d' une couleur titiannesque , de chaque côté de laquelle se bouclaient les quelques cheveux d' un blond ardent que la débauche et la misère lui avaient laissés pour qu' il eût le droit de payer un coiffeur au jour de sa restauration financière .
Sa figure , jadis belle et fraîche , comme celle du Jésus - Christ des peintres , avait pris des tons aigres que des moustaches rouges , une barbe fauve rendaient presque sinistres .
Le bleu pur de ses yeux s' était troublé dans sa lutte avec le chagrin .
Enfin les mille prostitutions de Paris avaient estompé les paupières et le tour de ses yeux , où jadis une mère regardait avec ivresse une divine réplique des siens .
Ce philosophe prématuré , ce jeune vieillard était l' oeuvre d' une marâtre .
Ici commence l' histoire curieuse d' un fils prodigue de Francfort - sur - le - Main , le fait le plus extraordinaire et le plus bizarre qui soit jamais arrivé dans cette ville sage , quoique centrale .
M . Gédéon Brunner , père de ce Fritz , un de ces célèbres aubergistes de Francfort - sur - le - Main qui pratiquent , de complicité avec les banquiers , des incisions autorisées par les lois sur la bourse des touristes , honnête calviniste d' ailleurs , avait épousé une juive convertie , à la dot de laquelle il dut les éléments de sa fortune .
Cette juive mourut , laissant son fils Fritz , à l' âge de douze ans , sous la tutelle du père et sous la surveillance d' un oncle maternel , marchand de fourrures à Leipzig , le chef de la maison Virlaz et compagnie .
Brunner le père fut obligé , par cet oncle qui n' était pas aussi doux que ses fourrures , de placer la fortune du jeune Fritz en beaucoup de marcs banco dans la maison Al - Sartchild , et sans y toucher .
Pour se venger de cette exigence israélite , le père Brunner se remaria , en alléguant l' impossibilité de tenir son immense auberge sans l' oeil et le bras d' une femme .
Il épousa la fille d' un autre aubergiste , dans laquelle il vit une perle ; mais il n' avait pas expérimenté ce qu' était une fille unique , adulée par un père et une mère .

LE COUSIN PONS (VII, paris)
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