----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

La beauté des femmes du peuple dure peu , surtout quand elles restent en espalier à la porte d' un restaurant . Les chauds rayons de la cuisine se projettent sur les traits qui durcissent , les restes de bouteilles bus en compagnie des garçons s' infiltrent dans le teint , et nulle fleur ne mûrit plus vite que celle d' une écaillère .
Heureusement pour Mme Cibot , le mariage légitime et la vie de concierge arrivèrent à temps pour la conserver ; elle demeura comme un modèle de Rubens , en gardant une beauté virile que ses rivales de la rue de Normandie calomniaient , en la qualifiant de grosse dondon .
Ses tons de chair pouvaient se comparer aux appétissants glacis des mottes de beurre d' Isigny ; et nonobstant son embonpoint , elle déployait une incomparable agilité dans ses fonctions .
Mme Cibot atteignait à l' âge où ces sortes de femmes sont obligées de se faire la barbe . N' est - ce pas dire qu' elle avait quarante - huit ans ? Une portière à moustaches est une des plus grandes garanties d' ordre et de sécurité pour un propriétaire .
Si Delacroix avait pu voir Mme Cibot posée fièrement sur son balai , certes il en eût fait une Bellone !
La position des époux Cibot , en style d' acte d' accusation , devait , chose singulière ! affecter un jour celle des deux amis ; aussi l' historien , pour être fidèle , est - il obligé d' entrer dans quelques détails au sujet de la loge .
La maison rapportait environ huit mille francs , car elle avait trois appartements complets , doubles en profondeur , sur la rue , et trois dans l' ancien hôtel entre cour et jardin .
En outre , un ferrailleur nommé Rémonencq occupait une boutique sur la rue . Ce Rémonencq , passé depuis quelques mois à l' état de marchand de curiosités , connaissait si bien la valeur bric - à - braquoise de Pons , qu' il le saluait du fond de sa boutique , quand le musicien entrait ou sortait .
Ainsi , le sou pou livre donnait environ quatre cents francs au ménage Cibot , qui trouvait en outre gratuitement son logement et son bois .
Or , comme les salaires de Cibot produisaient environ sept à huit cents francs en moyenne par an , les époux se faisaient , avec leurs étrennes , un revenu de seize cents francs , à la lettre mangés par les Cibot qui vivaient mieux que ne vivent les gens du peuple .
" On ne vit qu' une fois ! " disait la Cibot . Née pendant la révolution , elle ignorait , comme on le voit , le catéchisme .

LE COUSIN PONS (VII, paris)
Page: 521