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Il ne faudrait pas connaître Paris pour imaginer que les deux amis eussent échappé à la raillerie parisienne , qui n' a jamais rien respecté . Schmucke et Pons , en mariant leurs richesses et leurs misères , avaient eu l' idée économique de loger ensemble , et ils supportaient également le foyer d' un appartement fort inégalement partagé , situé dans une tranquille maison de la tranquille rue de Normandie , au Marais .
Comme ils sortaient souvent ensemble , qu' ils faisaient souvent les mêmes boulevards côte à côte , les flâneurs du quartier les avaient surnommés les deux casse - noisettes .
Ce sobriquet dispense de donner ici le portrait de Schmucke , qui était à Pons ce que la nourrice de Niobé , la fameuse statue du Vatican , est à la Vénus de la Tribune .
Mme Cibot , la portière de cette maison , était le pivot sur lequel roulait le ménage des deux casse - noisettes ; mais elle joue un si grand rôle dans le drame qui dénoua cette double existence , qu' il convient de réserver son portrait au moment de son entrée dans cette Scène .
Ce qui reste à dire sur le moral de ces deux êtres en est précisément le plus difficile à faire comprendre aux quatre - vingt - dix - neuf centièmes des lecteurs dans la la quarante - septième année du dix - neuvième siècle , probablement à cause du prodigieux développement financier produit par l' établissement des chemins de fer .
C' est peu de chose et c' est beaucoup . En effet il s' agit de donner une idée de la délicatesse excessive de ces deux coeurs .
Empruntons une image aux railways , ne fût - ce que par façon de remboursement des emprunts qu' ils nous font . Aujourd' hui les convois en brûlant leurs rails y broient d' imperceptibles grains de sable .
Introduisez ce grain de sable invisible pour les voyageurs dans leurs reins , ils ressentiront les douleurs de la plus affreuse maladie , la gravelle ; on en meurt .
Eh bien ! ce qui , pour notre société lancée dans sa voie métallique avec une vitesse de locomotive , est le grain de sable invisible dont elle ne prend nul souci , ce grain incessamment jeté dans les fibres de ces deux êtres , et à tout propos , leur causait comme une gravelle au coeur .
D' une excessive tendresse aux douleurs d' autrui , chacun d' eux pleurait de son impuissance , et , pour leurs propres sensations , ils étaient d' une finesse de sensitive qui arrivait à la maladie .

LE COUSIN PONS (VII, paris)
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