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Catholiques tous deux , allant à la messe ensemble , ils accomplissaient leurs devoirs religieux , comme des enfants n' ayant jamais rien à dire à leurs confesseurs . Ils croyaient fermement que la musique , la langue du ciel , était aux idées et aux sentiments ce que les idées et les sentiments sont à la parole , et ils conversaient à l' infini sur ce système , en se répondant l' un à l' autre par des orgies de musique pour se démontrer à eux - mêmes leurs propres convictions , à la manière des amants .
Schmucke était aussi distrait que Pons était attentif .
Si Pons était collectionneur , Schmucke était rêveur , celui - ci étudiait les belles choses morales , comme l' autre sauvait les belles choses matérielles . Pons voyait et achetait une tasse de porcelaine pendant le temps que Schmucke mettait à se moucher , en pensant à quelque motif de Rossini , de Bellini , de Beethoven , de Mozart , et cherchant dans le monde des sentiments où pouvait se trouver l' origine ou la réplique de cette phrase musicale .
Schmucke , dont les économies étaient administrées par la distraction , Pons , prodigue par passion , arrivaient l' un et l' autre au même résultat : zéro dans la bourse à la Saint - Sylvestre de chaque année .
Sans cette amitié , Pons eût succombé peut - être à ses chagrins ; mais dès qu' il eut un coeur où décharger le sien , la vie devint supportable pour lui . La première fois qu' ii exhala ses peines dans le coeur de Schmucke , le bon Allemand lui conseilla de vivre comme lui , de pain et de fromage , chez lui , plutôt que d' aller manger des dîners qu' on lui faisait payer si cher .
Hélas ! Pons n' osa pas avouer à Schmucke que , chez lui , le coeur et l' estomac étaient ennemis , que l' estomac s' accommodait de ce qui faisait souffrir le coeur , et qu' il lui fallait à tout prix un bon dîner à déguster , comme à un homme galant une maîtresse à ... lutiner .
Avec le temps , Schmucke finit par comprendre Pons , car il était trop Allemand pour avoir la rapidité d' observation dont jouissent les Français , et il n' en aima que mieux le pauvre Pons .
Rien ne fortifie l' amitié comme lorsque , de deux amis , l' un se croit supérieur à l' autre .
Un ange n' aurait eu rien à dire en voyant Schmucke , quand il se frotta les mains au moment où il découvrit dans son ami l' intensité qu' avait prise la gourmandise .
En effet , le lendemain , le bon Allemand orna le déjeuner de friandises qu' il alla chercher lui - même , et il eut soin d' en avoir tous les jours de nouvelles pour son ami ; car depuis leur réunion ils déjeunaient tous les jours ensemble au logis .

LE COUSIN PONS (VII, paris)
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