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De 1836 à 1843 , Pons se vit invité rarement . Loin de rechercher le parasite , chaque famille l' acceptait comme on accepte un impôt ; on ne lui tenait plus compte de rien , pas même de ses services réels . Les familles où le bonhomme accomplissait ses évolutions , toutes sans respect pour les arts , en adoration devant les résultats , ne prisaient que ce qu' elles avaient conquis depuis 1830 : des fortunes ou des positions sociales éminentes .
Or , Pons n' ayant pas assez de hauteur dans l' esprit ni dans les manières pour imprimer la crainte que l' esprit ou le génie cause au bourgeois , avait naturellement fini par devenir moins que rien , sans être néanmoins tout à fait méprisé .
Quoiqu' il éprouvât dans ce monde de vives souffrances , comme tous les gens timides , il les taisait .
Puis , il s' était habitué par degrés à comprimer ses sentiments , à se faire de son coeur un sanctuaire où il se retirait .
Ce phénomène , beaucoup de gens superficiels le traduisent par le mot égoïsme . La ressemblance est assez grande entre le solitaire et l' égoïste pour que les médisants paraissent avoir raison contre l' homme de coeur , surtout à Paris , où personne dans le monde n' observe , où tout est rapide comme le flot , où tout passe comme un ministère !
Le cousin Pons succomba donc sous un acte d' accusation d' égoïsme porté en arrière contre lui , car le monde finit toujours par condamner ceux qu' il accuse . Sait - on combien une défaveur imméritée accable les gens timides ? Qui peindra jamais les malheurs de la Timidité ! Cette situation , qui s' aggravait de jour en jour davantage , explique la tristesse empreinte sur le visage de ce pauvre musicien , qui vivait de capitulations infâmes .
Mais les lâchetés que toute passion exige sont autant de liens ; plus la passion en demande , plus elle vous attache ; elle fait de tous les sacrifices comme un idéal trésor négatif où l' homme voit d' immenses richesses .
Après avoir reçu le regard insolemment protecteur d' un bourgeois roide de bêtise , Pons dégustait comme une vengeance le verre de vin de Porto , la caille au gratin qu' il avait commencé de savourer , se disant à lui - même : " Ce n' est pas trop payé ! "

LE COUSIN PONS (VII, paris)
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