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Avec sa tête ronde , sa figure colorée comme une feuille de vigne , ses yeux bleus , le nez en trompette , une bouche à grosses lèvres , un menton doublé , ce cher petit homme excitait partout où il se montrait sans être connu le rire généreusement octroyé par le Français aux créations falotes que se permet la nature , que l' art s' amuse à charger , et que nous nommons des caricatures . Mais chez Me Mathias l' esprit avait triomphé de la forme , les qualités de l' âme avaient vaincu les bizarreries du corps .
La plupart des Bordelais lui témoignaient un respect amical une déférence pleine d' estime . La voix du notaire gagnait le coeur en y faisant résonner l' éloquence de la probité . Pour toute ruse , il allait droit au fait en culbutant les mauvaises pensées par des interrogations précises .
Son coup d' oeil prompt , sa grande habitude des affaires lui donnaient ce sens divinatoire qui permet d' aller au fond des consciences et d' y lire les pensées secrètes .
Quoique grave et posé dans les affaires , ce patriarche avait la gaieté de nos ancêtres . Il devait risquer la chanson de table , admettre et conserver les solennités de famille , célébrer les anniversaires , les fêtes des grand - mères et des enfants , enterrer avec cérémonie la bûche de Noël ; il devait aimer à donner des étrennes , à faire des surprises et offrir des oeufs de Pâques ; il devait croire aux obligations du parrainage et ne déserter aucune des coutumes qui coloraient la vie d' autrefois .
Me Mathias était un noble et respectable débris de ces notaires , grands hommes obscurs , qui ne donnaient pas de reçu en acceptant des millions , mais les rendaient dans les mêmes sacs , ficelés de la même ficelle ; qui exécutaient à la lettre les fidéicommis , dressaient décemment les inventaires , s' intéressaient comme de seconds pères aux intérêts de leurs clients , barraient quelquefois le chemin devant les dissipateurs , et à qui les familles confiaient leurs secrets ; enfin l' un de ces notaires qui se croyaient responsables de leurs erreurs dans les actes et les méditaient longuement .
Jamais , durant sa vie notariale , un de ses clients n' eut à se plaindre d' un placement perdu , d' une hypothèque ou mal prise ou mal assise .
Sa fortune , lentement mais loyalement acquise , ne lui était venue qu' après trente années d' exercice et d' économie .
Il avait établi quatorze de ses clercs .
Religieux et généreux incognito , Mathias se trouvait partout où le bien s' opérait sans salaire .
Membre actif du comité des hospices et du comité de bienfaisance , il s' inscrivait pour la plus forte somme dans les impositions volontaires destinées à secourir les infortunes subites , à créer quelques établissements utiles .
CONTRAT DE MARIAGE (III, privé)
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