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- Tu me fais l' effet d' un panier de mouches à miel . Marche ! tu seras une dupe toute ta vie . Ah ! tu veux te marier pour avoir une femme . En d' autres termes , tu veux résoudre heureusement à ton profit le plus difficile des problèmes que présentent aujourd' hui les moeurs bourgeoises créées par la révolution française , et tu commenceras par une vie d' isolement ! Crois - tu que ta femme ne voudra pas de cette vie que tu méprises ? en aura - t - elle comme toi le dégoût ? Si tu ne veux pas de la belle conjugalité dont le programme vient d' être formulé par ton ami de Marsay , écoute un dernier conseil ? Reste encore garçon pendant treize ans , amuse - toi comme un damné ; puis , à quarante ans , à ton premier accès de goutte , épouse une veuve de trente - six ans : tu pourras être heureux .
Si tu prends une jeune fille pour femme , tu mourras enragé !
- Ah ! çà , dis - moi pourquoi ? s' écria Paul un peu piqué .
- Mon cher , répondit de Marsay , la satire de Boileau contre les femmes est une suite de banalités poétisées . Pourquoi les femmes n' auraient - elles pas des défauts ? Pourquoi les déshériter de l' Avoir le plus clair de la nature humaine ? Aussi , selon moi , le problème du mariage n' est - il plus là où ce critique l' a mis .
Crois - tu donc qu' il en soit du mariage comme de l' amour , et qu' il suffise à un mari d' être homme pour être aimé ? Tu vas donc dans les boudoirs pour n' en rapporter que d' heureux souvenirs ? Tout , dans notre vie de garçon , prépare une fatale erreur à l' homme marié qui n' est pas un profond observateur du coeur humain .
Dans les heureux jours de sa jeunesse , un homme , par la bizarrerie de nos moeurs , donne toujours le bonheur , il triomphe de femmes tout séduites qui obéissent à des désirs .
De part et d' autre , les obstacles que créent les lois , les sentiments et la défense naturelle à la femme engendrent une mutualité de sensations qui trompe les gens superficiels sur leurs relations futures en état de mariage où les obstacles n' existent plus , où la femme souffre l' amour au lieu de le permettre , repousse souvent le plaisir au lieu de le désirer .
Là , pour nous , la vie change d' aspect .
Le garçon libre et sans soins , toujours agresseur , n' a rien à craindre d' un insuccès .
En état de mariage , un échec est irréparable . S' il est possible à un amant de faire revenir une femme d' un arrêt défavorable , ce retour , mon cher , est le Waterloo des maris .
Comme Napoléon , le mari est condamné à des victoires qui , malgré leur nombre , n' empêchent pas la première défaite de le renverser . La femme , si flattée de la persévérance , si heureuse de la colère d' un amant , les nomme brutalité chez un mari .
Si le garçon choisit son terrain , si tout lui est permis , tout est défendu à un maître , et son champ de bataille est invariable .

CONTRAT DE MARIAGE (III, privé)
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