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Je regardai plus particulièrement alors le chirurgien , et j' éprouvai je ne sais quel sentiment d' horreur . Son teint terreux , ses traits à la fois ignobles et grands , offraient une expression exacte de ce que vous me permettrez de nommer la canaille . Quelques grains bleuâtres et noirs étaient semés sur son visage comme des traces de boue , et ses yeux lançaient une flamme sinistre .
Cette figure paraissait plus sombre qu' elle ne l' était peut - être , à cause de la neige amassée sur sa tête par une coiffure à frimas .
" Cet homme - là doit enterrer plus d' un malade , dis - je à mon voisin .
- Je ne lui confierais pas mon chien , me répondit - il .
- Je le hais involontairement .
- Et moi je le méprise .
- Quelle injustice , cependant ! repris - je .
- Oh ! mon Dieu , après - demain il peut devenir aussi célèbre que l' acteur Volange " , répliqua l' inconnu .
M . de Calonne montra le chirurgien par un geste qui semblait nous dire : " Celui - là me paraît devoir être amusant . "
" Et auriez - vous rêvé d' une reine ? lui demanda Beaumarchais .
- Non , j' ai rêvé d' un peuple , répondit - il avec une emphase qui nous fit rire . Je soignais alors un malade à qui je devais couper la cuisse le lendemain de mon rêve ...
- Et vous avez trouvé le peuple dans la cuisse de votre malade ? demanda M . de Calonne .
- Précisément , répondit le chirurgien .
- Est - il amusant ! s' écria la comtesse de Genlis .
- Je fus assez surpris , dit l' orateur sans s' embarrasser des interruptions et en mettant chacune de ses mains dans les goussets de sa culotte , de trouver à qui parler dans cette cuisse . J' avais la singulière faculté d' entrer chez mon malade .
Quand , pour la première fois , je me trouvai sous sa peau , je contemplai une merveilleuse quantité de petits êtres qui s' agitaient , pensaient et raisonnaient . Les uns vivaient dans le corps de cet homme , les autres dans sa pensée .
Ses idées étaient des êtres qui naissaient , grandissaient , mouraient ; ils étaient malades , gais , bien portants , tristes , et avaient tous enfin des physionomies particulières ; ils se combattaient ou se caressaient .

CATHERINE MEDICIS (XI, philo)
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