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En voyant cette fille dans son bizarre costume , les cheveux en désordre , un fusil à la main , son châle et sa robe frottés contre les murs , souillés par la boue et mouillés de rosée , la curiosité des Fougerais fut d' autant plus vivement excitée , que le pouvoir , la beauté , la singularité de cette Parisienne , défrayaient déjà toutes leurs conversations .
Francine , en proie à d' horribles inquiétudes , avait attendu sa maîtresse pendant toute la nuit ; et quand elle la revit , elle voulut parler , mais un geste amical lui imposa silence .
" Je ne suis pas morte , mon enfant , dit Marie . Ah ! je voulais des émotions en partant de Paris ? ... j' en ai eu " , ajouta - t - elle après une pause .
Francine voulut sortir pour commander un repas , en faisant observer à sa maîtresse qu' elle devait en avoir grand besoin .
" Oh ! dit Mlle de Verneuil , un bain , un bain ! La toilette avant tout . "
Francine ne fut pas médiocrement surprise d' entendre sa maîtresse lui demandant les modes les plus élégantes de celles qu' elle avait emballées . Après avoir déjeuné , Marie fit sa toilette avec la recherche et les soins minutieux qu' une femme met à cette oeuvre capitale , quand elle doit se montrer aux yeux d' une personne chère , au milieu d' un bal .
Francine ne s' expliquait point la gaieté moqueuse de sa maîtresse .
Ce n' était pas la joie de l' amour , une femme ne se trompe pas à cette expression , c' était une malice concentrée d' assez mauvais augure . Marie drapa elle - même les rideaux de la fenêtre par où les yeux plongeaient sur un riche panorama , puis elle approcha le canapé de la cheminée , le mit dans un jour favorable à sa figure , et dit à Francine de se procurer des fleurs , afin de donner à sa chambre un air de fête .
Lorsque Francine eut apporté des fleurs , Marie en dirigea l' emploi de la manière la plus pittoresque .
Quand elle eut jeté un dernier regard de satisfaction sur son appartement , elle dit à Francine d' envoyer réclamer son prisonnier chez le commandant .
Elle se coucha voluptueusement sur le canapé , autant pour se reposer que pour prendre une attitude de grâce et de faiblesse dont le pouvoir est irrésistible chez certaines femmes .

LES CHOUANS (VIII, milit)
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