----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----
Francine avait compris , par le regard de Marche - à - terre , que le destin de Mlle de Verneuil , sur laquelle elle lui avait ordonné de veiller , était entre d' autres mains que les siennes , et offrait un visage pâle , sans pouvoir retenir ses larmes quand sa maîtresse la regardait . La dame inconnue cachait mal sous de faux sourires la malice d' une vengeance féminine , et le subit changement que son obséquieuse bonté pour Mlle de Verneuil introduisit dans son maintien , dans la voix et sa physionomie , était de nature à donner des craintes à une personne perspicace .
Aussi Mlle de Verneuil frissonna - t - elle par instinct en se demandant : " Pourquoi frissonné - je ? ... C' est sa mère .
" Mais elle trembla de tous ses membres en se disant tout à coup : " Est - ce bien sa mère ? " Elle vit un abîme qu' un dernier coup d' oeil jeté sur l' inconnue acheva d' éclairer .
" Cette femme l' aime ! pensa - t - elle . Mais pourquoi m' accabler de prévenances , après m' avoir témoigné tant de froideur ? Suis - je perdue ? Aurait - elle peur de moi ? " Quant au gentilhomme , il pâlissait , rougissait tour à tour , et gardait une attitude calme en baissant les yeux pour dérober les étranges émotions qui l' agitaient .
Une compression violente détruisait la gracieuse courbure de ses lèvres , et son teint jaunissait sous les efforts d' une orageuse pensée .
Mlle de Verneuil ne pouvait même plus deviner s' il y avait encore de l' amour dans sa fureur . Le chemin , flanqué de bois en cet endroit , devint sombre et empêcha ces muets acteurs de s' interroger des yeux .
Le murmure du vent , le bruissement des touffes d' arbres , le bruit des pas mesurés de l' escorte , donnèrent à cette scène ce caractère solennel qui accélère les battements du coeur .
Mlle de Verneuil ne pouvait pas chercher en vain la cause de ce changement . Le souvenir de Corentin passa comme un éclair , et lui apporta l' image de sa véritable destinée qui lui apparut tout à coup .
Pour la première fois depuis la matinée , elle réfléchit sérieusement à sa situation . Jusqu' en ce moment , elle s' était laissée aller au bonheur d' aimer , sans penser ni à elle , ni à l' avenir .
Incapable de supporter plus longtemps ses angoisses , elle chercha , elle attendit , avec la douce patience de l' amour , un des regards du jeune homme , et le supplia si vivement , sa pâleur et son frisson eurent une éloquence si pénétrante , qu' il chancela ; mais la chute n' en fut que plus complète .
" Souffririez - vous , mademoiselle ? " demanda - t - il .
LES CHOUANS (VIII, milit)
Page:1019