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Heureuse en idée , éprise autant de ses chimères que de la réalité , autant de l' avenir que du présent , Marie essaya de revenir sur ses pas pour mieux établir son pouvoir sur ce jeune coeur , agissant en cela instinctivement , comme agissent toutes les femmes . Après être convenue avec elle - même de se donner tout entière , elle désirait , pour ainsi dire , se disputer en détail ; elle aurait voulu pouvoir reprendre dans le passé toutes ses actions , se paroles , ses regards , pour les mettre en harmonie avec la dignité de la femme aimée .
Aussi ses yeux exprimèrent - ils parfois une sorte de terreur , quand elle songeait à l' entretien qu' elle venait d' avoir et où elle s' était montrée si agressive .
Mais en contemplant cette figure empreinte de force , elle se dit qu' un être si puissant devait être généreux , et s' applaudit de rencontrer une part plus belle que celle de beaucoup d' autres femmes , en trouvant dans son amant un homme de caractère , un homme condamné à mort qui venait de jouer lui - même sa tête et faire la guerre à la République .
La pensée de pouvoir occuper sans partage une telle âme prêta bientôt à toutes les choses une physionomie différente .
Entre le moment où , cinq heures auparavant , elle composa son visage et sa voix pour agacer le gentilhomme , et le moment actuel où elle pouvait le bouleverser d' un regard , il y eut la différence de l' univers mort à un vivant univers .
De bons rires , de joyeuses coquetteries cachèrent une immense passion qui se présenta comme le malheur , en souriant .
Dans les dispositions d' âme où se trouvait Mlle de Verneuil , la vie extérieure prit donc pour elle le caractère d' une fantasmagorie . La calèche passa par des villages , par des vallons , par des montagnes dont aucune image ne s' imprima dans sa mémoire .
Elle arriva dans Mayenne , les soldats de l' escorte changèrent , Merle lui parla , elle répondit , traversa toute une ville , et se remit en route ; mais les figures , les maisons , les rues , les paysages , les hommes furent emportés comme les formes indistinctes d' un rêve .
La nuit vint . Marie voyagea sous un ciel de diamants , enveloppée d' une douce lumière , et sur la route de Fougères , sans qu' il lui vînt dans la pensée que le ciel eût changé d' aspect , sans savoir ce qu' était ni Mayenne ni Fougères , ni où elle allait .
Qu' elle pût quitter dans peu d' heures l' homme de son choix et par qui elle se croyait choisie , n' était pas , pour elle , une chose possible .
L' amour est la seule passion qui ne souffre ni passé ni avenir .
LES CHOUANS (VIII, milit)
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