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" Eh bien , montez donc ! " lui dit la comtesse quand le valet eut achevé de déplier le marchepied .
Et il se trouva , comme par enchantement , assis près de sa femme dans le coupé .
" Où va madame ? demanda le valet .
- à Groslay " , dit - elle .
Le chevaux partirent et traversèrent tout Paris .
" Monsieur ! " dit la comtesse au colonel d' un son de voix qui révélait une de ces émotions rares dans la vie , et par lesquelles tout en nous est agité .
En ces moments , coeur , fibres , nerfs , physionomie , âme et corps , tout , chaque pore même tressaille . La vie semble ne plus être en nous ; elle en sort et jaillit , elle se communique comme une contagion , se transmet par le regard , par l' accent de la voix , par le geste , en imposant notre vouloir aux autres .
Le vieux soldat tressaillit en entendant ce seul mot , ce premier , ce terrible : " Monsieur ! " Mais aussi était - ce tout à la fois un reproche , une prière , un pardon , une espérance , un désespoir , une interrogation , une réponse .
Ce mot comprenait tout . Il fallait être comédienne pour jeter tant d' éloquence , tant de sentiments dans un mot .
Le vrai n' est pas si complet dans son expression , il ne met pas tout en dehors , il laisse voir tout ce qui est au dedans . Le colonel eut mille remords de ses soupçons , de ses demandes , de sa colère , et baissa les yeux pour ne pas laisser deviner son trouble .
" Monsieur , reprit la comtesse après une pause imperceptible , je vous ai bien reconnu !
- Rosine , dit le vieux soldat , ce mot contient le seul baume qui pût me faire oublier mes malheurs . "
Deux grosses larmes roulèrent toutes chaudes sur les mains de sa femme , qu' il pressa pour exprimer une tendresse paternelle .
" Monsieur , reprit - elle , comment n' avez - vous pas deviné qu' il me coûtait horriblement de paraître devant un étranger dans une position aussi fausse que l' est la mienne ! Si j' ai à rougir de ma situation , que ce ne soit au moins qu' en famille .
Ce secret ne devait - il pas rester enseveli dans nos coeurs ? Vous m' absoudrez , j' espère , de mon indifférence apparente pour les malheurs d' un Chabert à l' existence duquel je ne devais pas croire .
COLONEL CHABERT (III, privé)
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