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La fortune politique du comte Ferraud ne fut pas rapide . Il comprenait les exigences de la position dans laquelle se trouvait Louis XVIII , il était du nombre des initiés qui attendaient que l' abîme des révolutions fût fermé , car cette phrase royale , dont se moquèrent tant les libéraux , cachait un sens politique . Néanmoins , l' ordonnance citée dans la longue phrase cléricale qui commence cette histoire lui avait rendu deux forêts et une terre dont la valeur avait considérablement augmenté pendant le séquestre .
En ce moment , quoique le comte Ferraud fût conseiller d' État , directeur général , il ne considérait sa position que comme le début de sa fortune politique . Préoccupé par les soins d' une ambition dévorante , il s' était attaché comme secrétaire un ancien avoué ruiné nommé Delbecq , homme plus qu' habile , qui connaissait admirablement les ressources de la chicane , et auquel il laissait la conduite de ses affaires privées .
Le rusé praticien avait assez bien compris sa position chez le comte pour y être probe par spéculation .
Il espérait parvenir à quelque place par le crédit de son patron , dont la fortune était l' objet de tous ses soins .
Sa conduite démentait tellement sa vie antérieure qu' il passait pour un homme calomnié . Avec le tact et la finesse dont sont plus ou moins douées toutes les femmes , la comtesse , qui avait deviné son intendant , le surveillait adroitement , et savait si bien le manier , qu' elle en avait déjà tiré un très bon parti pour l' augmentation de sa fortune particulière .
Elle avait su persuader à Delbecq qu' elle gouvernait M .
Ferraud , et lui avait promis de le faire nommer président d' un tribunal de première instance dans l' une des plus importantes villes de France , s' il se dévouait entièrement à ses intérêts .
La promesse d' une place inamovible qui lui permettrait de se marier avantageusement et de conquérir plus tard une haute position dans la carrière politique en devenant député fit de Delbecq l' âme damnée de la comtesse .
Il ne lui avait laissé manquer aucune des chances favorables que les mouvements de Bourse et la hausse des propriétés présentèrent dans Paris aux gens habiles pendant les trois premières années de la Restauration .
Il avait triplé les capitaux de sa protectrice , avec d' autant plus de facilité que tous les moyens avaient paru bons à la comtesse afin de rendre promptement sa fortune énorme .
Elle employait les émoluments des places occupées par le comte aux dépenses de la maison , afin de pouvoir capitaliser ses revenus , et Delbecq se prêtait aux calculs de cette avarice sans chercher à s' en expliquer les motifs .

COLONEL CHABERT (III, privé)
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