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- Il nous a vexés , monsieur , aussi vrai que je m' appelle Louis Vergniaud et que ma femme en a pleuré . Il a su par les voisins que nous n' avions pas le premier sou de notre billet . Le vieux grognard , sans rien dire , a amassé tout ce que vous lui donniez a guetté le billet et l' a payé . C' te malice ! Que ma femme et moi nous savions qu' il n' avait pas de tabac , ce pauvre vieux , et qu' il s' en passait ! Oh ! maintenant , tous les matins il a ses cigares ! je me vendrais plutôt ... Non ! nous sommes vexés .
Donc , je voudrais vous proposer de nous prêter , vu qu' il nous a dit que vous étiez un brave homme , une centaine d' écus sur notre établissement , afin que nous lui fassions faire des habits , que nous lui meublions sa chambre .
Il a cru nous acquitter , pas vrai ? Eh bien , au contraire , voyez - vous , l' ancien nous a endettés ... et vexés ! Il ne devait pas nous faire cette avance - là .
Il nous a vexés ! et des amis , encore ? Foi d' honnête homme , aussi vrai que je m' appelle Louis Vergniaud , je m' engagerais plutôt que de ne pas vous rendre cet argent - là ... "
Derville regarda le nourrisseur , et fit quelques pas en arrière pour revoir la maison , la cour , les fumiers , l' étable , les lapins , les enfants .
" Par ma foi , je crois qu' un des caractères de la vertu est de ne pas être propriétaire , se dit - il . Va , tu auras tes cents écus ! et plus même . Mais ce ne sera pas moi qui te les donnerai , le colonel sera bien assez riche pour t' aider , et je ne veux pas lui en ôter le plaisir .
- Ce sera bientôt ?
- Mais oui .
- Ah ! mon Dieu , que mon épouse va - t - être contente ! "
Et la figure tannée du nourrisseur sembla s' épanouir .
" Maintenant , se dit Derville en remontant dans son cabriolet , allons chez notre adversaire . Ne laissons pas voir notre jeu , tâchons de connaître le sien , et gagnons la partie d' un seul coup . Il faudrait l' effrayer ? Elle est femme .
De quoi s' effraient le plus les femmes ? Mais les femmes ne s' effraient que de ... "
Il se mit à étudier la position de la comtesse , et tomba dans une de ces méditations auxquelles se livrent les grands politiques en concevant leurs plans , en tâchant de deviner le secret des cabinets ennemis .
Les avoués ne sont - ils pas en quelque sorte des hommes d' État chargés des affaires privées ? Un coup d' oeil jeté sur la situation de M . le comte Ferraud et de sa femme est ici nécessaire pour faire comprendre le génie de l' avoué .
COLONEL CHABERT (III, privé)
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