----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

Pendant cette conférence , à plusieurs reprises , il s' était avancé , hors d' un pilastre de la porte cochère , la figure d' un homme posé dans la rue pour guetter la sortie de Derville , et qui l' accosta quand il sortit . C' était un vieux homme vêtu d' une veste bleue , d' une cotte blanche plissée semblable à celle des brasseurs , et qui portait sur la tête une casquette de loutre .
Sa figure était brune , creusée , ridée , mais rougie sur les pommettes par l' excès du travail et hâlée par le grand air .
" Excusez , monsieur , dit - il à Derville en l' arrêtant par le bras , si je prends la liberté de vous parler , mais je me suis douté , en vous voyant , que vous étiez l' ami de notre général .
- Eh bien ? dit Derville , en quoi vous intéressez - vous à lui ? Mais qui êtes - vous ? reprit le défiant avoué .
- Je suis Louis Vergniaud , répondit - il d' abord . Et j' aurais deux mots à vous dire .
- Et c' est vous qui avez logé le comte Chabert comme il l' est ?
- Pardon , excuse , monsieur , il a la plus belle chambre . Je lui aurais donné la mienne , si je n' en avais eu qu' une . J' aurais couché dans l' écurie . Un homme qui a souffert comme lui , qui apprend à lire à mes mioches , un général , un égyptien , le premier lieutenant sous lequel j' ai servi ... faudrait voir ? Du tout , il est le mieux logé .
J' ai partagé avec lui ce que j' avais . Malheureusement ce n' était pas grand - chose , du pain , du lait , des oeufs ; enfin à la guerre comme à la guerre ! C' est de bon coeur .
Mais il nous a vexés .
- Lui ?
- Oui , monsieur , vexés , là ce qui s' appelle en plein . J' ai pris un établissement au - dessus de mes forces , il le voyait bien . ça vous le contrariait , et il pansait le cheval ! Je lui dis : " Mais , mon général ? - Bah ! qui dit , je ne veux pas être comme un fainéant , et il y a longtemps que je sais brosser le lapin . " J' avais donc fait des billets pour le prix de ma vacherie à un nommé Grados ... Le connaissez - vous , monsieur ?
- Mais , mon cher , je n' ai pas le temps de vous écouter . Seulement dites - moi comment le colonel vous a vexés !

COLONEL CHABERT (III, privé)
Page: 345