----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

Ses souffrances physiques et morales lui avaient déjà vicié le corps dans quelques - uns des organes les plus importants . Il touchait à l' une de ces maladies pour lesquelles la médecine n' a pas de nom , dont le siège est en quelque sorte mobile comme l' appareil nerveux qui paraît le plus attaqué parmi tous ceux de notre machine , affection qu' il faudrait nommer le spleen du malheur .
Quelque grave que fût déjà ce mal invisible , mais réel , il était encore guérissable par une heureuse conclusion .
Pour ébranler tout à fait cette vigoureuse organisation , il suffirait d' un obstacle nouveau , de quelque fait imprévu qui en romprait les ressorts affaiblis et produirait ces hésitations , ces actes incompris , incomplets , que les physiologistes observent chez les êtres ruinés par les chagrins .
En reconnaissant alors les symptômes d' un profond abattement chez son client , Derville lui dit : " Prenez courage , la solution de cette affaire ne peut que vous être favorable . Seulement , examinez si vous pouvez me donner toute votre confiance , et accepter aveuglément le résultat que je croirai le meilleur pour vous .
- Faites comme vous voudrez , dit Chabert .
- Oui , mais vous vous abandonnez à moi comme un homme qui marche à la mort ?
- Ne vais - je pas rester sans état , sans nom ? Est - ce tolérable ?
- Je ne l' entends pas ainsi , dit l' avoué . Nous poursuivrons à l' amiable un jugement pour annuler votre acte de décès et votre mariage , afin que vous repreniez vos droits . Vous serez même , par l' influence du comte Ferraud , porté sur les cadres de l' armée comme général , et vous obtiendrez sans doute une pension .
- Allez donc ! répondit Chabert , je me fie entièrement à vous .
- Je vous enverrai donc une procuration à signer , dit Derville . Adieu , bon courage ! S' il vous faut de l' argent , comptez sur moi . "
Chabert serra chaleureusement la main de Derville , et resta le dos appuyé contre la muraille , sans avoir la force de le suivre autrement que des yeux . Comme tous les gens qui comprennent peu les affaires judiciaires , il s' effrayait de cette lutte imprévue .

COLONEL CHABERT (III, privé)
Page: 344