----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

- Les choses ne vont pas ainsi dans le monde judiciaire , reprit Derville . Écoutez - moi . Vous êtes le comte Chabert , je le veux bien , mais il s' agit de le prouver judiciairement à des gens qui vont avoir intérêt à nier votre existence . Ainsi , vos actes seront discutés . Cette discussion entraînera dix ou douze questions préliminaires . Toutes iront contradictoirement jusqu' à la cour suprême , et constitueront autant de procès coûteux , qui traîneront en longueur , quelle que soit l' activité que j' y mette .
Vos adversaires demanderont une enquête à laquelle nous ne pourrons pas nous refuser , et qui nécessitera peut - être une commission rogatoire en Prusse . Mais supposons tout au mieux : admettons qu' il soit reconnu promptement par la justice que vous êtes le colonel Chabert .
Savons - nous comment sera jugée la question soulevée par la bigamie fort innocente de la comtesse Ferraud ? Dans votre cause , le point de droit est en dehors du code , et ne peut être jugé par les juges que suivant les lois de la conscience , comme fait le jury dans les questions délicates que présentent les bizarreries sociales de quelques procès criminels .
Or , vous n' avez pas eu d' enfants de votre mariage , et M .
le comte Ferraud en a deux du sien , les juges peuvent déclarer nul le mariage où se rencontrent les liens les plus faibles , au profit du mariage qui en comporte de plus forts , du moment où il y a eu bonne foi chez les contractants .
Serez - vous dans une position morale bien belle , en voulant mordicus avoir à votre âge et dans les circonstances où vous vous trouvez une femme qui ne vous aime plus ? Vous aurez contre vous votre femme et son mari , deux personnes puissantes qui pourront influencer les tribunaux .
Le procès a donc des éléments de durée .
Vous aurez le temps de vieillir dans les chagrins les plus cuisants .
- Et ma fortune ?
- Vous vous croyez donc une grande fortune ?
- N' avais - je pas trente mille livres de rente ?
- Mon cher colonel , vous aviez fait , en 1799 , avant votre mariage , un testament qui léguait le quart de vos biens aux hospices .
- C' est vrai .

COLONEL CHABERT (III, privé)
Page: 341