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Il n' a donc que la nuit pour creuser ses procès , fouiller les arsenaux du Code et faire ses plans de bataille . Il ne veut pas perdre une seule cause , il a l' amour de son art . Il ne se charge pas , comme ses confrères , de toute espèce d' affaire . Voilà sa vie , qui est singulièrement active . Aussi gagne - t - il beaucoup d' argent . "
En entendant cette explication , le vieillard resta silencieux , et sa bizarre figure prit une expression si dépourvue d' intelligence , que le clerc , après l' avoir regardé , ne s' occupa plus de lui . Quelques instants après , Derville rentra , mis en costume de bal ; son Maître clerc lui ouvrit la porte , et se remit à achever le classement des dossiers .
Le jeune avoué demeura pendant un moment stupéfait en entrevoyant dans le clair - obscur le singulier client qui l' attendait .
Le colonel Chabert était aussi parfaitement immobile que peut l' être une figure en cire de ce cabinet de Curtius où Godeschal avait voulu mener ses camarades .
Cette immobilité n' aurait peut - être pas été un sujet d' étonnement , si elle n' eût complété le spectacle surnaturel que présentait l' ensemble du personnage . Le vieux soldat était sec et maigre .
Son front , volontairement caché sous les cheveux de sa perruque lisse , lui donnait quelque chose de mystérieux . Ses yeux paraissaient couverts d' une taie transparente : vous eussiez dit de la nacre sale dont les reflets beuâtres chatoyaient à la lueur des bougies .
Le visage pâle , livide , et en lame de couteau , s' il est permis d' emprunter cette expression vulgaire , semblait mort .
Le cou était serré par une mauvaise cravate de soie noire . L' ombre cachait si bien le corps à partir de la ligne brune que décrivait ce haillon , qu' un homme d' imagination aurait pu prendre cette vieille tête pour quelque silhouette due au hasard , ou pour un portrait de Rembrandt , sans cadre .
Les bords du chapeau qui couvrait le front du vieillard projetaient un sillon noir sur le haut du visage .

COLONEL CHABERT (III, privé)
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