----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

C' est là le dernier mot du luxe aujourd' hui . Posséder des choses qui ne soient pas vulgarisées par deux mille bourgeois opulents qui se croient luxueux quand ils étalent des richesses dont sont encombrés les magasins , c' est le cachet du vrai luxe , le luxe des grands seigneurs modernes , étoiles éphémères du firmament parisien . En examinant des jardinières pleines de fleurs exotiques les plus rares , garnies de bronzes ciselés et faits dans le genre dit de Boulle , la baronne fut effrayée de ce que cet appartement contenait de richesses .
Nécessairement ce sentiment dut réagir sur la personne autour de qui ces profusions ruisselaient . Adeline pensa que Josépha Mirah dont le portrait dû au pinceau de Joseph Bridau brillait dans le boudoir voisin , était une cantatrice de génie , une Malibran , et elle s' attendit à voir une vraie lionne .
Elle regretta d' être venue . Mais elle était poussée par un sentiment si puissant , si naturel , par un dévouement si peu calculateur , qu' elle rassembla son courage pour soutenir cette entrevue .
Puis , elle allait satisfaire cette curiosité , qui la poignait , d' étudier le charme que possédaient ces sortes de femmes , pour extraire tant d' or des gisements avares du sol parisien .
La baronne se regarda pour savoir si elle ne faisait pas tache dans ce luxe ; mais elle portait bien sa robe en velours à guimpe , sur laquelle s' étalait une belle collerette en magnifique dentelle ; son chapeau de velours en même couleur lui seyait .
En se voyant encore imposante comme une reine , toujours reine même quand elle est détruite , elle pensa que la noblesse du malheur valait la noblesse du talent .
Après avoir entendu ouvrir et fermer des portes , elle aperçut enfin Josépha .
La cantatrice ressemblait à la Judith d' Allori , gravée dans le souvenir de tous ceux qui l' ont vue dans le palais Pitti , auprès de la porte d' un grand salon : même fierté de pose , même visage sublime , des cheveux noirs tordus sans apprêt , et une robe de chambre jaune à mille fleurs brodées , absolument semblable au brocart dont est habillée l' immortelle homicide créée par le neveu du Bronzino .
" Madame la baronne , vous me voyez confondue de l' honneur que vous me faites en venant ici " , dit la cantatrice qui s' était promis de bien jouer son rôle de grande dame .
Elle avança elle - même un fauteuil ganache à la baronne , et prit pour elle un pliant . Elle reconnut la beauté disparue de cette femme , et fut saisie d' une pitié profonde en la voyant agitée par ce tremblement nerveux que la moindre émotion rendait convulsif .

LA COUSINE BETTE (VII, paris)
Page: 378