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Ces messieurs envient toutes les positions , ils ont rogné le traitement des ministres , c' est tout dire ! ... allez donc leur demander de l' argent pour un vieux serviteur ! ... Qu' attendre de gens qui payent aussi mal qu' elle l' est la magistrature ? qui donnent trente sous par jour aux ouvriers du port de Toulon , quand il y a impossibilité matérielle d' y vivre à moins de quarante sous pour une famille ? qui ne réfléchissent pas à l' atrocité des traitements d' employés à six cents , à mille et à douze cents francs dans Paris , et qui pour eux veulent nos places quand les appointements sont de quarante mille francs ? ... enfin , qui refusent à la Couronne un bien de la Couronne confisqué en 1830 à la Couronne , et un acquêt fait des deniers de Louis XVI encore ! quand on le leur demandait pour un prince pauvre ! ... Si vous n' aviez pas de fortune , on vous laisserait très bien , mon prince , comme mon frère , avec votre traitement tout sec , sans se souvenir que vous avez sauvé la Grande - Armée , avec moi , dans les plaines marécageuses de la Pologne .
- Vous avez volé l' État , vous vous êtes mis dans le cas d' aller en cour d' assises , dit le maréchal , comme ce caissier du Trésor , et vous prenez cela , monsieur , avec cette légèreté ? ...
- Quelle différence , monseigneur ! s' écria le baron Hulot . Ai - le plongé les mains dans une caisse qui m' était confiée ? ...
- Quand on commet de pareilles infamies , dit le maréchal , on est deux fois coupable , dans votre position , de faire les choses avec maladresse . Vous avez compromis ignoblement notre haute administration , qui jusqu' à présent est la plus pure de l' Europe ! ... Et cela , monsieur , pour deux cent mille francs et pour une gueuse ! ... dit le maréchal d' une voix terrible .
Vous êtes conseiller d' État , et l' on punit de mort le simple soldat qui vend les effets du régiment .
Voici ce que m' a dit un jour le colonel Pourin , du deuxième lanciers . à Saverne , un de ses hommes aimait une petite Alsacienne qui désirait un châle ; la drôlesse rit tant , que ce pauvre diable de lancier , qui devait être promu maréchal des logis - chef , après vingt ans de services , l' honneur du régiment , a vendu , pour donner ce châle , des effets de sa compagnie .
Savez - vous ce qu' il a fait , le lancier , baron d' Ervy ? il a mangé les vitres d' une fenêtre après les avoir pilées , et il est mort de maladie , en onze heures , à l' hôpital ... Tâchez , vous , de mourir d' une apoplexie pour que nous puissions vous sauver l' honneur ... "
Le baron regarda le vieux guerrier d' un oeil hagard , et le maréchal , voyant cette expression qui révélait un lâche , eut quelque rougeur aux joues , ses yeux s' allumèrent .
" M' abandonneriez - vous ? ... " dit Hulot en balbutiant .
En ce moment , le maréchal Hulot , ayant appris que son frère et le ministre étaient seuls , se permit d' entrer ; et il alla , comme les sourds , droit au prince .
" Oh ! cria le héros de la campagne de Pologne , je sais ce que tu viens faire , mon vieux camarade ! ... Mais tout est inutile ...
- Inutile ? ... répéta le maréchal Hulot qui n' entendit que ce mot .
LA COUSINE BETTE (VII, paris)
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