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La rue et l' impasse du Doyenné , voilà les seules voies intérieures de ce pâté sombre et désert où les habitants sont probablement des fantômes , car on n' y voit jamais personne . Le pavé , beaucoup plus bas que celui de la chaussée de la rue du Musée , se trouve au niveau de celle de la rue Froidmanteau .
Enterrées déjà par l' exhaussement de la place , ces maisons sont enveloppées de l' ombre éternelle que projettent les hautes galeries du Louvre , noircies de ce côté par le souffle du Nord .
Les ténèbres , le silence , l' air glacial , la profondeur caverneuse du sol concourent à faire de ces maisons des espèces de cryptes , des tombeaux vivants .
Lorsqu' on passe en cabriolet le long de ce demi - quartier mort , et que le regard s' engage dans la ruelle du Doyenné , l' âme a froid , l' on se demande qui peut demeurer là , ce qui doit s' y passer le soir , à l' heure où cette ruelle se change en coupe - gorge , et où les vices de Paris , enveloppés du manteau de la nuit , se donnent pleine carrière .
Ce problème , effrayant par lui - même , devient horrible quand on voit que ces prétendues maisons ont pour ceinture un marais du côté de la rue de Richelieu , un océan de pavés moutonnants du côté des Tuileries , de petits jardins , des baraques sinistres du côté des galeries et des steppes de pierre de taille et de démolitions du côté du vieux Louvre .
Henri III et ses mignons qui cherchent leurs chausses , les amants de Marguerite qui cherchent leurs têtes , doivent danser des sarabandes au clair de la lune dans ces déserts dominés par la voûte d' une chapelle encore debout , comme pour prouver que la religion catholique , si vivace en France , survit à tout .
Voici bientôt quarante ans que le Louvre crie par toutes les gueules de ces murs éventrés , de ces fenêtres béantes : Extirpez ces verrues de ma face ! On a sans doute reconnu l' utilité de ce coupe - gorge , et la nécessité de symboliser au coeur de Paris l' alliance intime de la misère et de la splendeur qui caractérise la reine des capitales .
Aussi ces ruines froides , au sein desquelles le journal des légitimistes a commencé la maladie dont il meurt , les infâmes baraques de la rue du Musée , l' enceinte en planches des étalagistes qui la garnissent , auront - elles la vie plus longue et plus prospère que celles de trois dynasties peut - être !

LA COUSINE BETTE (VII, paris)
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