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Cette fille avait en effet peur de toute espèce de joug . Sa cousine lui offrait - elle de la loger chez elle ? ... Bette apercevait le licou de la domesticité ; maintes fois le baron avait résolu le difficile problème de la marier ; mais séduite au premier abord , elle refusait bientôt en tremblant de se voir reprocher son manque d' éducation , son ignorance et son défaut de fortune ; enfin , si la baronne lui parlait de vivre avec leur oncle et d' en tenir la maison à la place d' une servante - maîtresse qui devait coûter cher , elle répondait qu' elle se marierait encore bien moins de cette façon - là .
La cousine Bette présentait dans les idées cette singularité qu' on remarque chez les natures qui se sont développées fort tard , chez les Sauvages qui pensent beaucoup et parlent peu . Son intelligence paysanne avait d' ailleurs acquis , dans les causeries de l' atelier , par la fréquentation des ouvriers et des ouvrières , une dose du mordant parisien .
Cette fille , dont le caractère ressemblait prodigieusement à celui des Corses , travaillée inutilement par les instincts des natures fortes , eût aimé à protéger un homme faible ; mais à force de vivre dans la capitale , la capitale l' avait changée à la surface .
Le poli parisien faisait rouille sur cette âme vigoureusement trempée .
Douée d' une finesse devenue profonde , comme chez tous les gens voués à un célibat réel , avec le tour piquant qu' elle imprimait à ses idées , elle eût paru redoutable dans toute autre situation .
Méchante , elle eût brouillé la famille la plus unie .
Pendant les premiers temps , quand elle eut quelques espérances dans le secret desquelles elle ne mit personne , elle s' était décidée à porter des corsets , à suivre les modes , et obtint alors un moment de splendeur pendant lequel le baron la trouva mariable .
Lisbeth fut alors la brune piquante de l' ancien roman français . Son regard perçant , son teint olivâtre , sa taille de roseau pouvaient tenter un major en demi - solde ; mais elle se contenta , disait - elle en riant , de sa propre admiration .
Elle finit d' ailleurs par trouver sa vie heureuse , après en avoir élagué les soucis matériels , car elle allait dîner tous les jours en ville , après avoir travaillé depuis le lever du soleil .
Elle n' avait donc qu' à pourvoir à son déjeuner et à son loyer ; puis on l' habillait et on lui donnait beaucoup de ces provisions acceptables , comme le sucre , le café , le vin , etc .

LA COUSINE BETTE (VII, paris)
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