----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

Cette gaieté forcée , où se retrouvait naïvement l' inextinguible sentiment de la supériorité que s' était crue Birotteau , causa comme un frisson à Ragon , malgré ses soixante - dix ans . César vit sa femme descendant à Popinot des lettres à signer ; il ne put ni retenir ses larmes , ni empêcher son visage de pâlir .
" Bonjour , mon ami , lui dit - elle d' un air riant .
- Je ne te demanderai pas si tu es bien ici , dit César en regardant Popinot .
- Comme chez mon fils " , répondit - elle avec un air attendri qui frappa l' ex - négociant .
Birotteau prit Popinot , l' embrassa en disant : " Je viens de perdre à jamais le droit de l' appeler mon fils .
- Espérons , dit Popinot . Votre huile marche , grâce à mes efforts dans les journaux , à ceux de Gaudissart qui a fait la France entière , qui l' a inondée d' affiches , de prospectus , et qui maintenant fait imprimer à Strasbourg des prospectus allemands , et va descendre comme une invasion sur l' Allemagne .
Nous avons obtenu le placement de trois mille grosses .
- Trois mille grosses ! dit César .
- Et j' ai acheté , dans le faubourg Saint - Marceau , un terrain , pas cher , où l' on construit une fabrique . Je conserverai celle du faubourg du Temple .
- Ma femme , dit Birotteau à l' oreille de Constance , avec un peu d' aide , on s' en serait tiré . "
Depuis cette fatale journée , César , sa femme et sa fille se comprirent . Le pauvre employé voulut atteindre à un résultat sinon impossible , du moins gigantesque : au payement intégral de sa dette ! Ces trois êtres , unis par le lien d' une probité féroce , devinrent avares , et se refusèrent tout : un liard leur paraissait sacré .
Par calcul , Césarine eut pour son commerce un dévouement de jeune fille . Elle passait les nuits , s' ingéniait pour accroître la prospérité de la maison , trouvait des dessins d' étoffes et déployait un génie commercial inné .
Les maîtres étaient obligés de modérer son ardeur au travail , ils la récompensaient par des gratifications ; mais elle refusait les parures et les bijoux que lui proposaient ses patrons .
De l' argent ! était son cri . Chaque mois , elle apportait ses appointements , ses petits gains , à son oncle Pillerault .
Autant en faisait César , autant Mme Birotteau . Tous trois se reconnaissant inhabiles , aucun d' eux ne voulant assumer sur lui la responsabilité du mouvement des fonds , ils avaient remis à Pillerault la direction suprême du placement de leurs économies .

CESAR BIROTTEAU (VI, paris)
Page: 287