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Là , parfois l' adoption du fils de la cuisinière avait été le sujet de quelques plaisanteries , de celles qu' on adresse à un homme respecté , car le quincaillier inspirait une estime respectueuse , sans l' avoir cherchée , la sienne lui suffisait . Aussi , quand Pillerault perdit ce pauvre jeune homme , y eut - il plus de deux cents personnes au convoi , qui allèrent jusqu' au cimetière .
En ce temps , il fut héroïque . Sa douleur contenue , comme celle de tous les hommes forts sans faste , augmenta la sympathie du quartier pour ce brave homme , mot prononcé pour Pillerault avec un accent qui en étendait le sens et l' ennoblissait .
La sobriété de Claude Pillerault , devenue habitude , ne put se plier aux plaisirs d' une vie oisive , quand , au sortir du commerce , il rentra dans ce repos qui affaisse tant le bourgeois parisien ; il continua son genre d' existence et anima sa vieillesse par ses convictions politiques qui disons - le , étaient celles de l' extrême gauche .
Pillerault appartenait à cette partie ouvrière agrégée par la révolution à la bourgeoisie .
La seule tache de son caractère était l' importance qu' il attachait à sa conquête : il tenait à ses droits , à la liberté , aux fruits de la révolution , il croyait son aisance et sa consistance politique compromises par les jésuites dont les libéraux annonçaient le secret pouvoir , menacées par les idées que Le Constitutionnel prêtait à Monsieur .
Il était d' ailleurs conséquent avec sa vie , avec ses idées , il n' y avait rien d' étroit dans sa politique , il n' injuriait point ses adversaires , il avait peur des courtisans , il croyait aux vertus républicaines : il imaginait Manuel pur de tout excès , le général Foy grand homme , Casimir - Perier sans ambition , Lafayette un prophète politique , Courier bon homme .
Il avait enfin de nobles chimères .
Ce beau vieillard vivait de la vie de famille , il allait chez les Ragon et chez sa nièce , chez le juge Popinot , chez Joseph Lebas et chez les Matifat .
Personnellement quinze cents francs faisaient raison de tous ses besoins . Quant au reste de ses revenus , il l' employait à de bonnes oeuvres , en présents à sa petite - nièce : il donnait à dîner quatre fois par an à ses amis chez Roland rue du Hasard , et les menait au spectacle .
Il jouait le rôle de ces vieux garçons sur qui les femmes mariées tirent des lettres de change à vue pour leurs fantaisies : une partie de campagne , l' Opéra , les Montagnes - Beaujon .
Pillerault était alors heureux du plaisir qu' il donnait , il jouissait dans le coeur des autres .

CESAR BIROTTEAU (VI, paris)
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